Association des Jeunes Magistrats (AJM)
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Pourquoi certaines mesures de suivis judiciaires ne sont pas exécutées ?
dimanche, 6 février 2011
/ Le Conseil d’Administration de l’AJM
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Après l’affaire de Pornic il conviendrait d’expliquer comment travaillent les Juges d’Application des Peines (JAP) et les Services Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) et comment le coeur de leur métier se trouve détourné par des contraintes budgétaires. Car c’est bien cette écrasante réalité dénoncée, en vain, depuis longtemps qui devrait constituer un scandale politique.
Avant tout, il apparaît essentiel de rappeler qu’au delà de la question des moyens, une prise en charge judiciaire, la plus efficiente qui soit, ne permettra jamais de garantir contre un risque zéro de récidive. Cette réalité de notre système pénal doit sans cesse être soulignée afin de bien avoir conscience que nous travaillons avec des êtres humains et que si les services d’application des peines et SPIP démontrent chaque jour que leur action tend à limiter ce risque, aucune mesure judiciaire ne peut permettre de l’éradiquer.
Partant de ce postulat, il n’en demeure pas moins, dès lors qu’une peine a été prononcée, qu’elle devrait pouvoir être exécutée dans des conditions garantissant une prise en charge effective et adaptée à la personne condamnée. Il n’est acceptable pour personne, victimes, auteurs mais aussi professionnels magistrats ou conseillers d’insertion et de probation que toutes les mesures prononcées par le tribunal ne puissent pas être pleinement exécutées. Or, ce n’est plus le cas depuis plusieurs années.
Trop de dossiers, trop peu de moyens, que faire ? Comment en arrive-t-on à devoir définir des dossiers prioritaires, au détriment de ceux qui ne le seront pas faute de moyens ?
En théorie, un suivi effectué par le SPIP sous le contrôle d’un JAP est nécessairement individualisé, en fonction des faits reprochés et la personnalité de l’auteur. La différenciation des suivis est donc tous les jours mise en oeuvre pour garantir au mieux le sens de la peine prononcée et celle de la mesure judiciaire.
Conscients de la mission de service public qui leur a été confiée, beaucoup, JAP, Conseillers d’Insertion et de Probation (CIP), greffiers et fonctionnaires, s’investissent sans compter sachant que derrière chaque dossier existe avant tout une réalité humaine, souvent complexe et précaire qui demande du temps et de l’attention afin de parvenir à une prise en charge adaptée.
Mais dès lors que le manque de moyens entre en ligne de compte, l’adaptation de ce suivi va devoir intégrer ce paramètre incontournable. Las de solliciter encore et toujours des créations de postes et des moyens supplémentaires, de nombreux JAP sont ainsi contraints d’intégrer cette réalité dans leur façon de travailler : la gestion individualisée des dossiers n’est plus commandée en premier lieu par la nécessité d’adapter le suivi à la personne condamnée mais plutôt par la nécessité de faire au mieux avec les moyens dont il dispose.
En effet, que faire dès lors que le SPIP en manque d’effectif ne peut suivre l’ensemble des condamnés ? Il est acquis qu’un CIP ne peut se voir affecter plus de 80 condamnés pour effectuer un suivi de mise à l’épreuve de qualité. En pratique, si tous les dossiers étaient affectés sans différenciation aucune, chaque CIP devrait gérer plus de 150 mesures. C’est ce qui vient d’ailleurs d’être imposé par le Ministère de la Justice.
Que faire, quand bien même le suivi serait assuré, dès lors que le tribunal ne dispose pas de suffisamment de fonctionnaires, de greffiers et de JAP pour répondre, à son niveau, à la prise en charge effectuée par le SPIP ?
Les priorités définies intègrent donc le manque de moyens. Selon les services et afin d’assurer une définition la plus fine possible, plusieurs critères peuvent être retenus selon le type de mesures (libérations conditionnelles, injonctions de soins, suivis socio-judiciaires..), la nature de l’infraction (les violences sexuelles, intra-familiales, peines criminelles sont prioritaires), l’existence de parties civiles.... Mais se résoudre à établir des priorités dans ces conditions n’est pas satisfaisant. Car après avoir établi des prises en charge prioritaires, des suivis intensifs, d’autres plus allégés, d’autres encore par courrier, un certain nombre de dossiers restera en souffrance. Nombre certes limité par rapport à la masse (souvent plus de 1500 dossiers pour un cabinet d’un JAP sans compter les détenus, et en moyenne 80 à 100 laissés en souffrance) mais toujours trop important. Malgré les précautions prises pour cette sélection, rien ne peut malheureusement garantir qu’elle aura été la plus pertinente, et elle restera toujours inacceptable.
Soulignant leur impuissance pour faire face à la masse de dossiers qui leur est confiée, les services concernés alertent et informent régulièrement depuis plusieurs années les chefs de juridiction, de Cour d’Appel, ou autres, en plus des rapports annuels remis chaque année par tous les services d’application des peines au Garde des Sceaux, comme l’impose la loi.
Or, aucune réponse, aucune indication, n’a été donnée aux professionnels s’agissant des dossiers qui ne pourraient être suivis, et ce, malgré les alertes. La reconnaissance par les plus hautes autorités de l’Etat de l’existence de dossiers en souffrance dans le traitement des mesures de suivi judiciaire est un aveu sur le manque de moyens. Pourquoi avoir contraint l’autorité judiciaire, sans réagir, à assumer ces choix de sécurité publique ?
Les professionnels de la Justice se trouvent bien souvent isolés, désemparés et conscients de ne pas être en mesure de répondre aux exigences légales de plus en plus fortes. Ils n’attendent qu’une chose : que les pouvoirs publics assument leurs responsabilités dans les choix budgétaires qu’ils opèrent et que les demandes qui pèsent sur l’application des peines ne soient pas complètement irréalistes.