Voici quelques nouvelles d’Austin où il fait toujours aussi chaud. Ce semestre, je me consacre à la défense des condamnés à mort Texans. C’est une opportunité offerte par la fac d’Austin dans le cadre d’une sorte de stage/cours qui nous permet de travailler pour un organisme de défense des condamnés peu fortunés. Je me suis donc rendu à Linvingston, la prison où est situé le couloir de la mort, la semaine dernière, afin de rencontrer nos clients. C’est une expérience carcérale intense… Tout commence par l’entrée où le statut d’avocat rendant visite à un condamné à mort va avec celui de « suspect » : on est fouillé des pieds à la tête pour éviter d’introduire tout objet de « contrebande » (on se demande bien pourquoi puisque de toute façon, on ne rencontre les clients qu’à travers une vitre, on ne peut donc rien leur remettre dans ces conditions). On rentre donc les poches vides (même le portefeuille étant suspect) affublé d’un joli badge rouge et en route pour la POLUNSKY Unit, le couloir de la mort. En chemin, on croise les détenus droit-commun, dans leur uniforme blanc (apparemment, à Livingston, ils ont échappé à l’orange vif ou au rose humiliant).
Les condamnés à mort on droit à un traitement à part. Ils sont dans une unité spéciale de la prison où les cellules sont toutes sur le modèle du mitard français, sauf que les fenêtres sont plus petites et situées très en hauteur. La cellule mesure 5,5 m2 et le détenu y passe au minimum 22 heures par jour. Chacun a droit à 2 heures de promenade (solitaire) par jour s’il se tient bien. Les détenus n’ont droit à aucun contact entre eux, à part bien sûr les traditionnels cris d’une cellule à l’autre. Les visites aussi sont particulièrement limitées, selon le niveau de discipline. Le travail en prison a été supprimé pour les condamnés à mort depuis l’évasion de sept d’entre eux en 1999. Depuis cette époque, les détenus ne s’étant pas évadés ont été récompensés par le durcissement drastique de leurs conditions de détention. Il faut dire que chaque nouveau directeur tient à se faire connaître en marquant son passage par une nouvelle mesure anti-détenus. Les plus chanceux ont droit à une radio (c’est la récompense de ceux qui ont une discipline irréprochable) pour s’occuper, les autres n’ont plus qu’à parfaire leur connaissances littéraires (ce qui n’est pas à la portée de tous). Tout semble fait pour les briser physiquement et moralement. Le rythme de vie imposée est un peu déroutant : petit-déjeuner servi n’importe quand entre 2h 30 et 5 heures du matin, déjeuner entre 10 heures et midi, repas entre 15h30 et 17h00. Ils ont du mal à s’y faire… Mais de toute façon, les repas son immangeables, ce qui n’est pas très surprenant vu que l’Etat se targue d’avoir des prisons peu couteuses. Le problème, c’est qu’on les empêche de cantiner suffisamment pour se nourrir. L’apparence est surveillée de près : uniforme blanc, rasage obligatoire (règle impossible à respecter puisqu’ils n’ont droit qu’à un rasoir jetable -à usage unique- par semaine). Du coup, ils sont sans arrêts punis pour cause de barbe débutante... Cet univers Kafkaïen est agrémenté par des surveillants particulièrement corrompus et paresseux. Un scandale a dernièrement permis de se rendre compte que certains faisaient entrer des téléphones portables pour les détenus moyennant finances ! D’autres se laissent acheter contre un mars pour de petits passe-droits. Mais ils ne se laissent pas toujours amadouer. Les règles de disciplines sont assez strictes (du genre : quand un surveillant entre dans ta cellule et te fait un signe, tu as cinq secondes pour te lever de ton lit et te mettre debout contre le mur, si tu mets 6 secondes, tu te retrouve en disciplinaire et on te supprime un droit –n’importe quoi : ta radio, tes lectures, tes timbres… « sir yes sir ! »). Certains clients ont l’air de supporter ce régime, mais d’autres sont dans un état de délire total. Peu de détenus se suicident à death row (même si certains essayent), mais il n’est pas rare de voir des détenus demander à leur avocat de retirer tous les appels suspensifs afin de pourvoir être exécutés dans les plus brefs délais. Une version « peine capitale » du suicide assisté…
Les discussions sont peu aisées. On se parle à travers un combiné qui rend très mal le son (surtout lorsque l’on est écouté par les surveillants) et dont le maniement donne vite des crampes. En plus certains détenus utilisent un langage argotique peu accessible pour le français que je suis. Et le système accusatoire ne nous garantie même pas la confidentialité (les détenus s’en amusent en disant bonjour au mouchard !). Voilà tout de même un beau système de droit !!!
Pour ceux qui se le demandent, on ne trouve pas vraiment d’Hannibal Lecter à Death row. Le gros des troupes a un parcours bizarrement semblable : enfance marquée par les mauvais traitements et en général les abus sexuels des parents ou des familles d’accueil, adolescence dans la drogue et la petite délinquance, puis très vite (beaucoup sont condamnés pour des faits commis entre 18 et 21 ans) un coup qui tourne mal avec meurtre et condamnation à mort à la clé. On trouve pas mal d’innocents parmi les détenus, ce qui n’est nié par personne mais ne semble pas susciter de mouvement de réforme à l’image de celui qui a suivi et suit toujours l’affaire Outreau. Il y aurait pourtant une mesure simple à mettre en place : dans la plupart des cas, les condamnés à mort innocentés ont été condamnés en raison de l’absence totale de moyens financiers et humains (il y a énormément d’incompétents notoires parmi les défenseurs publics) du côté de la défense pour réaliser les actes qui auraient permis dès l’origine de disculper le suspect (ADN…). Une petite mesure simple s’impose donc : la création du juge d’instruction ! Mais je m’égare…
Affirmer qu’il y a bcp d’incompétents notoires parmi les défenseurs publics n’est pas suffisant : il faudrait un peu étayer une telle affirmation. MIchèle Zémor