Monsieur le président du conseil constitutionnel, Monsieur le Président de la CEDH, Monsieur le vice président de la commission européenne, Monsieur le secrétaire général, Monsieur le premier président de la cour de cassation, Monsieur le procureur général près la cour de cassation, Monsieur le directeur, Mesdames et messieurs les hautes personnalités, Chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Qu’en est il aujourd’hui de la culture de l’indépendance ?
Bien sûr, à l’aube de ses cinquante ans, le modèle français de formation des magistrats rayonne toujours dans le monde. L’Ecole a su s’adapter aux exigences de plus en plus nombreuses faites aux magistrats de compétences techniques, d’adaptabilité, notamment. Ces avancées sont considérables mais ne doivent pas faire oublier qu’un juge compétent et humain n’est rien s’il n’est pas indépendant.
Être magistrat c’est aussi une posture dans la société, un savoir être que l’école doit enseigner. L’humanité n’est qu’une partie de cette posture. Ce savoir être doit être un savant dosage de techniques, d’esprit et de personnalité.
A chaque période, l’école est amenée à renforcer sa formation sur un des aspects qui apparaît manquant. Ainsi juste avant Outreau, le reproche était fait à l’école de ne pas assez former à la culture administrative et à la vie économique. Des conférences étaient organisées pour introduire ces données essentielles au cursus des auditeurs de justice afin qu’ils s’intègrent d’avantage dans la société. Des stages dans les entreprises étaient aussi organisés. Un autre reproche était que les auditeurs de justice ne parlaient pas assez des langues étrangères. L’école a donc été chargée d’imposer un enseignement obligatoire de ces langues. Bien sûr, récemment, la critique essentielle était de ne pas assez former à l’humanité. Des enseignements à la psychologie, l’éthique et à la déontologie ont été depuis clairement institués.
L’école répond ainsi chaque fois un peu plus aux attentes de l’opinion publique de formation de ses juges. Peu à peu, l’ENM empile les réformes, et les enseignements jusqu’à faire disparaître les activités d’ouverture et de recherche qui devaient être des moments de recul et de réflexion sur le savoir être du magistrat. Pourtant ce savoir être est essentiel : si l’ENM ne permet pas aux auditeurs de justice de comprendre ce que la société attend aujourd’hui d’un magistrat, si l’ENM ne permet pas aux auditeurs de justice de réfléchir à la place du magistrat dans la société, à quoi sert elle ? Peu à peu dans le mélange des enseignements, les objectifs principaux sont devenus moins apparents. Lorsque l’école aujourd’hui souhaite former à des fondamentaux, on peut s’étonner qu’aucune conférence, aucun groupe de travail ne soit consacré à l’indépendance. Or l’indépendance fait partie d’un de ses objectifs capitaux à l’exercice de la mission de juger. D’ailleurs lorsque Michel DEBRE parle des missions de l’ENM, il affirme que celle ci doit permettre aux magistrats d’être « bien formés, fiers du droit Français, indépendants et patriotes ».
Parler aujourd’hui d’indépendance des magistrats n’est pas politiquement correct. Les débats récurrents sur la responsabilité des magistrats renvoient d’ailleurs à l’idée de la nécessaire restriction de l’indépendance des magistrats comme si l’indépendance et la responsabilité devaient s’opposer là où elles doivent s’accompagner. En effet, si les magistrats doivent être responsables, c’est notamment parce qu’ils sont indépendants. Les magistrats doivent affirmer qu’ils n’ont pas peur de leur responsabilité si celle-ci ne renie pas leur indépendance.
Or la culture de l’indépendance tombe jour après jour dans l’oubli et les pratiques quotidiennes des magistrats le montrent malheureusement de plus en plus. Nombre de magistrats déplorent l’absence de recul et d’indépendance d’esprit de leurs jeunes collègues qui ne font que très peu preuve d’analyse critique face à leurs partenaires quotidiens. De plus en plus l’indépendance devient une question de personnalité là où elle devrait être une question de statut et de culture. L’Ecole ne doit pas oublier qu’elle doit former aussi à l’indépendance car cette indépendance ne va plus de soi. Face à l’opinion publique, au politique mais aussi simplement aux pressions quotidiennes des éducateurs pour un juge des enfants, des enquêteurs pour un substitut, l’indépendance plus que jamais doit s’apprendre. Sans cette culture à l’indépendance, les magistrats de demain ne seront pas armés pour défendre les valeurs républicaines de la Justice démocratique, égale pour tous.
Si l’avenir de la Justice se joue à l’ENM, il faut que celle ci puisse enseigner la culture de l’indépendance, le temps et le recul sur son métier, et l’apprentissage du savoir être magistrat.
Je formule ainsi le vÅ“u que l’ENM saura résister à l’évolution vers une justice administrative de soumission et saura retrouver ses principes de base qui ont fait sa grandeur et sa renommée internationale. Je formule le vÅ“u que les jeunes magistrats sauront par leur indépendance faire face aux enjeux présents et futurs de la Justice.
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