La journée du 8 mars 2008 s’est poursuivie dans l’après-midi, en collaboration avec l’UJA de Paris, sur une réflexion sur les formations respectives des magistrats et des avocats. En effet, les récentes réformes et/ou projets de réforme de la formation des magistrats révèlent un rapprochement de ces deux formations. On peut alors se demander pour quelles raisons, et pourquoi maintenant. Par ailleurs, se pose la question de savoir quelles sont les spécificités de la profession d’avocat qui rendent nécessaires que son exercice soit un préalable à celui de la profession de magistrat.
M. ALLAIX, Premier Vice Président au TGI de Lyon, ancien Directeur de la Formation à l’ENM
Les récents projets de réforme trouvent leur origine dans le rapport rédigé par la Commission d’Enquête Parlementaire suite à l’affaire dite « d’Outreau », qui prônait l’ouverture d’esprit du magistrat, ainsi que dans le rapport du Sénat du 10 juillet 2007 qui lui revendiquait une ouverture dans le recrutement des magistrats. La question s’est posée de savoir comment rapprocher ces deux professions, ce qui peut être souhaitable à condition que cela se fasse dans le respect de chacune d’elles.
La raison du malaise entre les professions d’avocat et de magistrat sont diverses. Il est des raisons historiques, dans la mesure où l’on a pu constater des aller-retour entre les deux professions au gré des régimes politiques. C’est Napoléon qui a le premier pensé la magistrature comme une fonction particulière avec son organisation propre. Mais ce n’est qu’en 1958 que le CNEJ a été créé, de même que le statut unifié de la magistrature, et l’ENM en 1970. Il est également des raisons de conception de la justice. En effet, dans les modèles anglo-saxons, le juge est créateur de droit, et l’avocat est conçu comme un auxiliaire naturel, dans une culture d’échange. En revanche, dans les pays de tradition écrite, le juge est le serviteur de la loi et on assiste plutôt à une culture d’affrontement.
Pourtant, faut-il insister sur ce qui nous sépare ou ce qui nous unit ? Quels sont les moyens de rapprocher nos professions et jusqu’où ?
Nos deux professions partagent un certain nombre de principes fondamentaux, notamment ceux développés dans le cadre européen, même s’il n’existe pas, nous l’avons vu, de modèle européen des professions d’avocat et de magistrat.
Par ailleurs, la réforme de l’université est une piste à explorer. Magistrats et avocats font leurs études de droit ensemble, mais sur un plan uniquement théorique. Il faut réfléchir à la place de la pratique dès l’université afin d’accéder à un savoir-faire et un savoir-être partagés. Ainsi en Allemagne des stages sont obligatoires pendant la formation universitaire, ce qui n’est pas le cas en France.
La question de l’intégration des avocats dans la magistrature est également à revoir. Qu’il s’agisse d’une mutation professionnelle dans le cadre de l’article 18-1 (où l’avocat devient auditeur de justice) ou de l’article 22 (intégration directe), il s’agit pour les avocats d’un véritable sacerdoce impliquant des sacrifices personnels beaucoup trop importants pour attirer un nombre significatif de candidats.
Dans le cadre de la formation initiale, des activités communes ont déjà été mises en place récemment. Il ne s’agit cependant pas de faire des magistrats des avocats, et inversement, ce qui serait un non sens. Or, ce point n’est pas clairement défini dans les programmes de l’ENM. Il ne faut pas oublier qu’à ce stade, chacun a déjà choisi sa profession et les objectifs pédagogiques des activités communes doivent être particulièrement bien définis. Dans le cadre de la formation continue au contraire, qui est maintenant obligatoire pour les deux professions, des formations continues sont à développer et à inventer.
Enfin, lors de l’exercice même des professions respectives, il convient de rappeler que la collégialité est un outil de dépersonnalisation des magistrats qui permet d’atténuer les conflits éventuels entre les professions. En outre, la spécialisation est particulièrement importante pour les échanges entre les professions en ce qu’elle permet des rapports privilégiés et de qualité entre professionnels intéressés. Ainsi, on constate dans le domaine de l’application des peines qu’il n’existe encore que peu d’avocats spécialisés et que les échanges n’en sont que plus difficiles.
En conclusion, il ne faut pas oublier de s’interroger sur le point de savoir si la connivence entre les deux professions est vraiment dans l’intérêt du justiciable ?
Me PEYRON, membre du CNB, de l’EFB et ancien Président de l’UJA
Il est important de rétablir le dialogue entre nos deux professions afin de mieux nous connaître, pour que l’œuvre de justice soit la plus positive possible. Les avocats sont plutôt favorables aux stages effectués par les futurs magistrats dans des cabinets d’avocats car cela permet d’échanger les expériences, les savoir-faire, et permet aux futurs magistrats de comprendre comment se gèrent les dossiers et les rapports avec les clients. Cependant, il est vrai également que les avocats ne connaissent pas assez la façon dont les magistrats travaillent, les pièces sur lesquelles ils se fondent pour statuer.
L’exemple du Québec est plébiscité, où les juristes deviennent dans un premier temps avocats, et seuls les meilleurs deviennent magistrats, lorsqu’ils ont acquis une certaine maturité. Cela permettrait notamment aux magistrats de comprendre véritablement la façon dont un dossier se construit pour un avocat, et éviterait les incompréhensions face à certaines demandes de renvoi ou à l’article 700 du NCPC.
La question du débat pourrait être renversée, et devenir aussi « faut-il être magistrat avant d’être avocat ? » tant il est nécessaire, pour tous les acteurs de la Justice, d’avoir une bonne connaissance des contraintes et de la déontologie de ses partenaires.
Mme LALANDE, Juge Placée à la C.A. de Versailles, ancien avocat
Aucune réponse catégorique ne peut être donnée à la question du débat de ce jour. Après avoir exercé les deux professions (avocat, puis magistrat après un recrutement sur le fondement de l’article 18-1), il ressort un objectif commun aux deux professions : l’œuvre de Justice. Cependant, si l’avocat est au service du justiciable, le magistrat est, lui, au service de la Loi. Ces approches sont complémentaires.
L’exercice préalable, un temps, de la profession d’avocat avant celle de magistrat est nécessaire, et apporte une indéniable richesse à l’ENM. Cependant cet exercice préalable peut ne pas se limiter à la profession d’avocat mais concerner d’autres professionnels du droit tels que les huissiers par exemple. Cela nécessiterait d’améliorer de manière substantielle la formation des avocats, pour être à la hauteur de celle de l’ENM qui est de très bonne qualité.
Les avocats ont eux aussi besoin d’expérience et de maturité. Mais ils peuvent plus facilement pallier à un manque d’expérience par le contact qu’il a avec le justiciable, que le magistrat ne peut pas avoir dans la mesure où il est, par sa fonction, dans un rapport d’autorité avec lui. Et cette expérience manque aux jeunes magistrats, de même que manque le rapport économique à la société.
Demeurent donc deux options :
1. Une formation initiale commune, et un choix entre les deux professions à l’issue, mais se pose un problème pratique du nombre d’avocats beaucoup plus important que du nombre de magistrats, et il manquera toujours alors l’expérience du rapport au justiciable ; 2. Un système proche du système portugais, où tous les juristes sont avocats pendant au moins deux ans avant d’envisager de demander leur intégration dans le corps de la magistrature. Dans cette perspective, les questions de la rémunération et de la prise en compte de l’ancienneté devront être posées.
DEBAT
Il est relevé qu’il paraît étonnant d’entendre des avocats plébisciter le modèle Québécois qui nomme magistrats les meilleurs avocats. En effet, les bons avocats doivent rester avocats car la Justice a aussi besoin de bons avocats. Par ailleurs, il faut se poser la question de savoir qu’est-ce qu’un bon avocat et un bon magistrat, la réponse n’étant pas nécessairement la même pour les deux professions.
Mme LALANDE précise, avec sa vision interne des deux professions, qu’elle a l’impression d’exercer le même métier avec des techniques différentes.
Des avocats indiquent qu’ils ne sont pas pour une grande école commune, les pratiques et les métiers étant déjà particulièrement différents. Déjà à l’intérieur de la profession d’avocat, il existe de grandes différences entre les métiers de conseil et de contentieux. Par ailleurs, il ne s’agit pas nécessairement de la même vocation. L’échange doit se faire à double sens, les avocats doivent aussi impérativement faire un stage dans les juridictions, même s’ils s’orientent vers le conseil, car on ne peut bien conseiller sans connaître le fonctionnement des juridictions.
M. CHAZALETTE, Président du TGI de Lisieux, indique qu’il est difficile de parler de manière générale d’avocat et de magistrat tant sont variés les métiers dans les deux professions. La vraie question est de savoir si la société française veut des magistrats jeunes, ou non, étant rappelé que les capacités d’écoute ou de proximité avec le justiciable ne sont pas liées à l’âge ou l’expérience.
Par ailleurs, il déplore le manque de passerelles entre les deux professions. Les manques du système actuel résident essentiellement dans les difficultés, pour ne pas dire impossibilité, pour un avocat d’exercer les fonctions de magistrat pendant deux ou trois ans et inversement. Il est ainsi révélateur de noter qu’une réforme récente du passage « Hors Hierarchie » dans la magistrature impose un détachement de deux ans dans sa carrière, mais uniquement dans l’administration, pas dans un barreau.
Observation d’un juriste, ancien président de la Commission Régionale des Conseils juridiques âgé de 90 ans : Devrait être rigoureusement interdite la décision de "pourvoi non admis" lorsqu’il s’agit d’une affaire dans laquelle est invoqué explicitement l’ordre public. C’est ainsi qu’une affaire peut être renvoyée devant une juridiction réputée moins chargée alors qu’il devrait s’agir du contraire, n’en déplaise aux avocats au Conseil.