La loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats a instauré deux mesures phares pour répondre au traumatisme engendré par l’affaire d’Outreau dans l’opinion publique :
* l’ouverture plus large du recrutement aux candidats bénéficiant d’une expérience professionnelle antérieure (article 18-1, 2ème et 3ème concours) ;
* l’allongement du stage avocat à une durée de 6 mois
Lors du Conseil d’administration de l’ENM du 3 juillet 2007, la Direction de l’Ecole a donc proposé un nouveau séquençage de la formation initiale.
Avant cette réforme, la formation des magistrats à l’Ecole Nationale de la Magistrature était organisée comme suit :
une semaine d’accueil à Bordeaux et prestation de serment,
deux semaines de stage découverte en juridiction,
six semaines de stage extérieur auprès d’associations, administrations, entreprises, organisations internationales,
huit mois de formation à Bordeaux,
un an et demi de stage juridictionnel entrecoupé de deux semaines de stage pénitentiaire, deux semaines en police et gendarmerie, une semaine auprès d’un huissier de justice,
examen de sortie
deux mois de stage avocat,
six semaines de formation de spécialisation,
trois mois de stage de pré affectation.
La nouvelle formation initiale se découpe désormais ainsi :
Accueil : 1 semaine (ENM Bordeaux)
Stage de découverte du TGI : 2 semaines (domicile de l’auditeur de justice)
Période d’études : 29 semaines (ENM Bordeaux)
Stage avocat : 21 semaines
Stage juridictionnel : 41 semaines
Période de spécialisation : 4 semaines ½ (ENM Paris)
Stages extérieurs de spécialisation : 3 à 5 semaines
L’AJM se félicite de la mise en place d’un stage avocat qui permet de mieux apprécier les enjeux de l’exercice des droits de la défense. Ce travail en commun entre avocats et futurs magistrats est d’autant plus intéressant qu’il est précédé par un travail commun en amont, lors de la période bordelaise, où des directions d’étude communes ont lieu entre futurs avocats et futurs magistrats sur des thèmes aussi sensibles que l’éthique, la déontologie, mais aussi moins transversaux mais qui permettent à chaque corps d’appréhender les faces méconnues du métier de l’autre (les honoraires, le coût des expertises judiciaires notamment…).
Cependant, l’AJM rappelle qu’un tel stage existait déjà dans le séquençage antérieur de la formation initiale pour une durée de 2 mois. Ce stage méritait sans doute d’être amélioré notamment en raison de son chevauchement avec l’examen de sortie, mais cette durée nous semblait cohérente au regard de la totalité de la formation.
La formation initiale du magistrat n’est pas extensible et il faut accepter que la répartition de temps de formation dévolue à chaque apprentissage corresponde à la nécessité de former un magistrat compétent, mais aussi capable d’appréhender la réalité sociologique de son temps et d’adopter la réflexion et le recul nécessaire à sa fonction.
L’instauration d’un stage avocat de 6 mois ne répond que de manière imparfaite à une véritable question de fond qui mérite d’être posée et débattue : doit-on être avocat avant d’être magistrat ? Ainsi d’autres solutions auraient pu être retenues par le législateur comme l’obligation d’avoir le CRFPA pour être candidat à l’ENM ou la nécessité de valider un stage de 6 mois ou 1 an avant de passer le concours, ou encore imposer l’exercice effectif de la profession d’avocat pendant une certaine durée. Cette réforme aboutit donc à un déséquilibre important et tout aussi grave de la formation des magistrats.
Comment comprendre, en effet, que désormais, un futur magistrat passera un quart de sa formation à rédiger des conclusions d’avocat et à plaider, alors qu’il n’aura passé que six semaines à rédiger des jugements civils ?
Comment peut-on décider de supprimer le stage extérieur, stage d’une durée de 6 semaines qui permettait à l’auditeur de découvrir un autre environnement, l’association (pour moitié d’entre eux), l’entreprise, une organisation internationale, d’autres administrations, mais aussi de diffuser ce qu’est la justice française ?
Comment concevoir aujourd’hui une justice moderne en supprimant ces milliers de contacts partenariaux ? Le corps judiciaire a vocation à être mobile et se doit de nouer des contacts extérieurs.
Par ailleurs, nous regrettons infiniment qu’un certain nombre de questions sous-jacentes n’aient pas été posées.
Quelles seront les conditions matérielles et d’évaluation pédagogiques du stage avocat ?
N’instaure-t-on pas une compétition déloyale avec les avocats stagiaires, dès lors que nous ne sommes pas rémunérés par les cabinets mais par le contribuable français durant ces 6 mois ?
Enfin, d’un point de vue déontologique, le stage avocat perdrait tout intérêt à s’exercer ailleurs que sur le lieu du stage juridictionnel puisque dès lors, les questions sensibles de l’interaction magistrat/avocat ne seraient plus envisagées sous le même angle.
Certains points d’organisation consécutifs à cette réforme nous laissent aussi perplexes. La pré-affectation, par exemple, aura désormais lieu à Paris, en l’absence de nos professeurs, les chargés de formation…et sera effectuée sans doute dans les locaux d’IPESUP, la préparation privée au concours, gage d’égalité entre les candidats s’il y a … !
Autant de questions que la réforme opérée en solo par la Direction de l’ENM ne soulève pas, ou plutôt, élude.
La nomination d’un nouveau Directeur, au profil international, nous laisse espérer que les enjeux d’une justice moderne et ouverte sur le monde ne seront pas sacrifiés sous l’autel d’ impératifs politiques à court terme.
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