Lors d’un important discours prononcé le 5 février 2009 devant les auditeurs de justice tout juste arrivés à l’ENM, Madame la Garde des Sceaux a ouvert la voie à une profonde remise en cause de l’indépendance de la Justice et des magistrats. Rappelons ses propos : « L’indépendance n’est pas un dogme. Il ne suffit pas de la proclamer. Elle se mérite par la qualité de son travail. Elle se mérite par la légitimité de ses décisions. C’est parce que l’on est au-delà de tout reproche et de toute suspicion que l’on est indépendant ».
Inutile de préciser que cette interprétation contrevient à la lettre de la Constitution selon laquelle « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Peu importe, s’agissant d’un discours politique, celui ci ne doit pas être sous estimé. Et ses conséquences sont considérables tant il laisse percevoir une révolution constitutionnelle. En effet, dès lors que le postulat selon lequel l’indépendance se mérite par la légitimité de ses décisions est posé, il ne reste plus qu’à en dérouler le corollaire : comme la légitimité des décisions des magistrats n’existe plus, l’indépendance des magistrats ne se justifie plus.
Le raisonnement est mathématique, implacable et incontournable. C’est il me semble la première fois dans le discours politique qu’un lien entre l’indépendance et la légitimité est publiquement affirmé et assumé. Bien sûr pour l’instant seule la première étape de l’équation légitimité = indépendance est posée. Mais le politique ne tardera pas à renverser cette équation et à tirer les conséquences du constat de la perte de légitimité, qui est aujourd’hui le véritable leitmotiv justifiant toutes les réformes de la justice (suppression du juge d’instruction, peines planchers, justice des mineurs, carte judiciaire ...). Dès lors que le citoyen n’a plus vraiment confiance en sa Justice, et que la légitimité du pouvoir régalien de rendre la justice est remise en question, comment être dans ces conditions indépendants ? Puisque que les Français n’ont plus confiance dans leur Justice, les magistrats atteints dans leur légitimité n’ont plus de raison d’être indépendants.
La prochaine étape du discours politique devrait donc être une attaque plus directe et plus franche à l’indépendance de la Justice le tout au nom du rapprochement des citoyens de leur Justice. L’idée suivante est de dire que le pouvoir politique a raison de reprendre en main les magistrats et leur Justice et de faire fi de ce qu’ils considèrent comme une indépendance acquise, car ils ne sont plus en adéquation avec le peuple au nom duquel ils disent rendre la Justice. C’est donc pour renforcer la légitimité de l’autorité judiciaire que le pouvoir politique justifiera les attaques à l’indépendance de la Justice puis proposera bientôt de la supprimer totalement.
A cette évolution inquiétante du discours politique s’oppose une analyse sérieuse et non plus politique de la crise de confiance des citoyens dans leur justice. Une des raisons de cette crise de confiance c’est l’incompréhension des citoyens en leur justice et l’illusion d’une justice sans limite ni contrôle. Loin de vouloir expliquer aux citoyens le fonctionnement de leur justice, le pouvoir politique maintient un sentiment d’incompréhension et y installe sa politique pénale. Les magistrats doivent donc réinvestir le champ de la cité afin de retrouver leur légitimité. Cela passe par des initiatives à destination des citoyens afin d’expliquer le fonctionnement de l’institution, et les problématiques des réformes en cours, mais aussi par une profonde réflexion sur nos pratiques et notre profession.
Le champ d’action laissé vacant pour le pouvoir politique est considérable, les magistrats et plus largement les professionnels du droit étant totalement inaudibles. Rien n’échappe plus au discours politique, pas même notre indépendance que nous croyions intouchable. C’est par la reprise de notre place dans la cité que nous pourrons peser sur les débats en cours. Mais en sommes nous capables ?
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