Indépendance et responsabilité
M. JEAN a commencé par resittuer son parcours, à la fois de magistrat et de chercheur. Il a publié de nombreux ouvrages et trouve important que les magistrats puissent se garder du temps pour prendre connaissance de différents travaux permettant de prendre du recul par rapport au travail quotidien. Par exemple pour cela il a notamment mis en place des synthèses de 4 pages sur le site de la Mission de Recherche Droit et Justice faites par les chercheurs eux-mêmes (www.gip-recherche-justice.fr/). D’une manière générale, M. JEAN s’intéresse aux aspects générationnels, notamment en se demandant quels sont les phénomènes qui se reproduisent historiquement, parfois par cycles, dans la magistrature. C’est pour cela que l’invitation de l’AJM l’a particulièrement intéressé.
M. JEAN, réagissant à plusieurs interventions de membres indiquant qu’ils avaient « appris » l’indépendance par des rencontres avec des magistrats remarquables, a indiqué que pour lui, si ce volet était excellent, l’indépendance c’était aussi penser par soi-même et ne pas trop se laisser modéliser par des référents qui peuvent aussi apprendre de mauvaises habitudes. Il faut d’abord être exigeant avec soi-même. L’indépendance, c’est être exemplaire et se faire respecter. Il faut notamment se demander, dans le quotidien de nos professions, par exemple au TTR : « où suis-je magistrat ? ». Une politique pénale très encadrée offre certainement un environnement rassurant mais peut porter atteinte à l’indépendance du magistrat.
Un adhérent : estime que le manque de temps est une atteinte fondamentale à notre indépendance, et que nous avons tous accepté l’idée qu’il fallait aller vite, qu’il fallait faire avec la pression statistique Ce qui pouvait avoir un lien avec un reste de conception sacerdotale de notre fonction, pour ne pas dire de masochisme.
Vanessa LEPEU : se demande s’il n’est pas nécessaire d’avoir aussi des magistrats « modèles » sur le plan théorique à l’ENM, et pas seulement en stage, mais il y a de quoi être inquiet quand on constate la conception actuelle de l’indépendance à l’école (cf l’avis de la HALDE sur la nomination des chargés de formation, cf le projet de transformer la « note de synthèse » en « note à la hiérarchie »).
Sylvain BARBIER SAINTE MARIE : estime, en rebondissant sur l’intervention de Jérôme DUPRE, que les difficultés viennent plutôt du manque de moyen que de la pression des statistiques.
Laure DANG : Promotion 2007, nous informe que le discours à l’ENM a bien changé, et qu’il tourne à l’auto flagellation. Il est dit aux auditeurs qu’ils n’ont pas à être fiers d’être magistrats, en faisant peser sur eux le scandale d’Outreau. Il faudrait presque s’excuser d’être magistrat.
M. JEAN : confirme que nous sommes bien la « génération Outreau » dans la vision des politiques, et que la martyrologie judiciaire existe bel et bien Le jeune magistrat est confronté à un clivage entre l’exigence de qualité, l’idéal de Justice, et de l’autre la réalité, la quantité des stocks à gérer, la pression hiérarchique.
Il estime qu’il existe deux justices de luxe en France, celle qui prend son temps : ainsi la Cour d’assises en général et la chambre de la presse à Paris. Il rappelle la conférence qu’il a donnée le 9 mars dernier à l’IHEJ : « Management et efficacité sont-ils antinomiques de la Justice ? » (http://www.ihej.org/index.php?rub=m...) et estime qu’il faut admettre que toutes les affaires présentées au magistrat ne sont pas du même niveau, ne doivent pas être traitées de la même façon (Cf. son ouvrage : Le système pénal, La Découverte, coll. Repères 2008) et que certaines affaires pourraient ne pas être gérées par des magistrats, notamment sur le modèle autrichien, le juge étant alors un recours.
Il évoque un ouvrage, « la logique de l’honneur » de Philippe D’IRIBARNE (http://www.amazon.fr/logique-lhonne...), qui a comparé différents systèmes de management aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en France. Il transpose cette analyse à la Justice, indiquant que les Etats-Unis conçoivent la Justice sur le modèle du contrat, les Pays-Bas sur le modèle du consensus et la France selon le modèle étatique et jacobin. « La logique de l’honneur », c’est aussi l’estime de soi, et dans le corps judiciaire la réputation est importante.
La France est ambivalente en promouvant à l’étranger le modèle ENM tout en réduisant la place de l’ENM dans le recrutement, en ne voulant plus de jeunes magistrats. Il semble qu’il y ait moins de solidarités entre les jeunes générations et celles qui les précèdent. Pourtant au quotidien, ce sont les jeunes qui font « tourner la boutique » et tout le monde le sait. M. JEAN admet lui-même qu’il aurait des difficultés évidentes, aujourd’hui, à tenir la permanence du parquet à Bobigny
La question de l’indépendance, c’est aussi savoir à qui on parle, en qui on a confiance. M. JEAN évoque l’expérience d’inter-vision menée par les présidents de Cour d’assises à Paris. Un collègue assiste à une audience d’un autre collègue, à qui il peut apporter un regard extérieur. Il devrait exister des debriefings après le traitement de dossiers lourds, pour en tirer collectivement les leçons.
Indépendant ce n’est pas être seul, c’est être fort, exigeant avec soi-même. L’indépendance ce n’est pas l’individualisme, ce qui peut être difficile à admettre pour un magistrat habitué à décider pour les autres On peut être indépendant tout en s’inscrivant dans une politique publique. Etre indépendant ce n’est pas faire ce que l’on veut, il faut une cohérence dans le message délivré par la Justice.
A ce titre M. JEAN nous conseille la lecture de « Notre Justice » d’Hubert Dalle et Daniel Soulez-Larivière, paru en 2002 (http://www.amazon.fr/Notre-justice-...)
Aurélie POIRIER : rappelle que vouloir prendre de la hauteur n’est pas toujours accepté, et qu’il faut parfois choisir entre conscience et carrière.
M. JEAN : rappelle qu’il y a le droit, sur lequel on peut et on doit s’appuyer, et que les solidarités professionnelles sont alors importantes. Il réfléchit actuellement à la rédaction d’un ouvrage historique dont le thème serait « savoir dire non ». Concernant l’indépendance des magistrats, il estime que l’alternance politique est la meilleure des garanties, qu’il n’y a pas pire qu’un homme politique qui se croit tout permis vis-à -vis de la justice.
Noémie NATHAN : estime qu’il nous arrive à tous d’avoir envie de dire « non », mais finalement on n’est pas si nombreux à le faire, pas assez nombreux en tout cas pour que les choses changent. Elle indique qu’elle trouve anormal que ni l’ENM, ni l’institution en elle-même n’aident à nous porter vers plus d’indépendance. Elle estime qu’il est nécessaire d’avoir quelque chose de plus structuré pour savoir déterminer le moment où l’on passe du compromis à la compromission. L’indépendance n’est pas enseignée aujourd’hui.
M. JEAN : estime qu’en 10 ans, la situation statutaire des magistrats s’est fortement dégradée. Les juges placés notamment, mais surtout les juges affectés à certaines fonctions (JLD par exemple) ne bénéficient pas d’une garantie statutaire favorable à l’indépendance, du fait de l’importance prise par les mesures d’administration judiciaire. Par contre, globalement le niveau de la magistrature a du s’élever du fait de la plus grande sélectivité du concours. Il faut cependant favoriser le travail d’équipe, créer des solidarités dans la Justice.
M. JEAN se réjouit de ce que l’exogamie soit en progression dans la magistrature, ce qui ne peut que favoriser l’ouverture d’esprit.
Eloi BUAT-MENARD estime que la Justice s’est construite en fonction des magistrats et non des justiciables, et regrette le manque d’échanges sociaux et culturels parmi les magistrats.
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