La journée du 8 mars 2008 s’est ouverte sur une réflexion à propos de la loi du 10 août 2007 ayant instauré les peines planchers. L’idée était de faire le point, après quelques mois d’application de cette loi, sur nos pratiques professionnelles et de déterminer si celles-ci avaient été modifiées par ces nouvelles dispositions, si oui dans quelle mesure et de réfléchir à la manière de les améliorer pour tendre à une Justice de meilleure qualité. Un des points les plus problématiques de l’application de cette loi est la façon dont sont entendues les circonstances de l’infraction, la personnalité de l’auteur te les garanties d’insertion ou de réinsertion permettant de déroger à l’application de la peine minimale, ainsi que la notion de garantie exceptionnelle d’insertion ou de réinsertion requise par la loi pour déroger au minimum en cas de deuxième récidive pour les infractions les plus graves.
M. CASOL, Directeur de l’Association d’Enquête et de Médiation (A.E.M.) auprès du TGI de Senlis
Il est difficile, d’une manière générale, de procéder à une enquête sociale rapide (E.S.R.) permettant d’éclairer véritablement la personnalité de l’intéressé dans les délais impartis dans le cadre d’une comparution immédiate, et pour le budget prévu (70€). L’A.E.M., pour pallier ce problème, a mis en place un protocole avec le parquet et les services d’enquêtes afin que cette enquête soit réalisée pendant le temps de la garde à vue et dans les locaux de celle-ci, afin de donner à l’enquêteur le temps de vérifier les dires de l’intéressé.
En cas de peine plancher encourue, il faut noter la différence de traitement des prévenus comparaissant sous la procédure de comparution immédiate, où l’E.S.R. est obligatoire, de ceux comparaissant suite à une COPJ ou une CPPV-CJ, procédures pour lesquelles l’E.S.R. n’est pas obligatoire et en pratique jamais demandée en raison des contraintes budgétaires des tribunaux.
L’A.E.M. entend des « garanties d’insertion et de réinsertion » :
1. l’environnement familial (existence de conflits, autorité parentale existante, exercée ou non…) 2. l’insertion dans la vie de quartier 3. l’emploi (l’enquêteur demande à l’intéressé s’il souhaite qu’un contact soit pris avec l’employeur, la plupart acceptent et les éventuels refus sont actés.)
L’enquêteur ne donne pas son avis sur les risques de récidive, en raison de la brièveté de l’entretien (25/30min). Un ajout de note de dernière minute se fait en pratique en cas d’éléments vérifiés après la rédaction du rapport.
La question du caractère exceptionnel des garanties d’insertion, requis pour déroger à l’application de la peine plancher en cas de seconde récidive pour les délits les plus graves pose question et n’a pas été compris par les professionnels qui sont justement censés les mettre en œuvre.
M. HUMBERT, Substitut placé à la C.A. de Versailles, actuellement en poste au TGI de Pontoise
Le rôle du parquetier doit être évoqué dans le cadre de la permanence, de la décision d’orientation de la procédure et lors de l’audience.
LA PERMANENCE : Il existe une culture d’investigations sur les faits et non sur la personnalité, notamment chez les enquêteurs. Il revient donc au substitut d’identifier au plus tôt les procédures où la peine plancher pourra être encourue, afin de donner aux enquêteurs des directives d’investigations sur la personnalité de l’intéressé. Ces directives devront être précises et porter sur :
1. l’environnement familial, 2. le travail, la recherche d’un emploi, 3. la santé, 4. la toxicomanie éventuelle et les démarches de soins entreprises… 5. une audition portant sur la récidive en particulier et le passé judiciaire, qui permettra éventuellement de mettre à jour qu’une peine a été exécutée et doit donc être réputée non-avenue, ou qu’il y a eu usurpation d’identité. Ces indications devront être vérifiées.
Le substitut pourra, au besoin, ordonner la réalisation d’une expertise psychologique et/ou psychiatrique, qui peuvent contribuer à donner des éléments sur les garanties d’insertion ou de réinsertion. Enfin, un procès-verbal type d’audition sur la personnalité pourra être élaboré par les parquets et envoyé aux enquêteurs afin de répondre aux exigences de la nouvelle loi.
L’ORIENTATION DE LA PROCEDURE : La loi du 10 août 2007 oblige plus que de coutume le substitut à réfléchir à l’orientation d’une procédure en comparution immédiate. Une COPJ peut permettre d’attirer l’attention de l’intéressé sur la peine encourue, et de lui donner un délai pour se présenter à l’audience avec des éléments justificatifs intéressant sa personnalité. Il reviendra également au substitut de retenir la qualification des faits la plus loyale. On peut citer comme exemple, pour certaines procédures :
1. la violation de domicile au lieu d’une tentative de vol avec effraction ; 2. la cession de stupéfiant pour usage personnel au lieu de la cession ; 3. l’opportunité de retenir la circonstance aggravante de violence pour certains vols à l’arraché
L’AUDIENCE : Elle est pour le substitut l’occasion d’un rappel à la loi, et d’une explication de ses dispositions. La parole du substitut est libre et il doit l’être pour ce qui est de ses réquisitions tant sur la qualification des faits que sur la peine. Le substitut va s’appuyer sur les différents professionnels lors de l’audience. Il attend de l’enquêteur de personnalité qu’il connaisse la loi, sache qu’une peine plancher est encourue et qu’il ait donné des éléments de personnalité probants. Concernant ses collègues du siège, il est rappelé que le substitut est le seul professionnel de l’audience à ne pas être totalement libre et attend une éventuelle bienveillance de leur part. Enfin, le substitut attend des avocats finesse et loyauté, notamment lorsqu’il laisse une porte ouverte à la défense, qui ne doit pas être systématiquement relevé comme une défaillance de l’accusation.
EN CONCLUSION, le substitut, depuis la loi du 10 août 2007, peut être considéré comme souffrant de schizophrénie, car il doit appliquer la loi mais cherche aussi à l’écarter. Cependant, il ne faut pas oublier que les possibilités d’écarter la loi sont contenues dans la loi elle-même.
Me ZAJAC, Avocat au Barreau de Pontoise
La procédure instaurée par la loi du 10 août 2007 va à l’inverse des principes généraux de notre droit qui prévoient une procédure inquisitoire. Il convient de faire revenir l’exception au principe sur la question de la charge de la preuve des garanties d’insertion et de réinsertion. Cette charge ne pèse pas sur l’avocat car la France ne se situe pas dans une procédure accusatoire. C’est donc à un renversement des principes que cette loi a procédé. La CEDH a rappelé en effet qu’il devait être procédé à l’audition des témoins à charge et à décharge, et qu’un refus d’audition de témoin à décharge se devait d’être motivé pour répondre aux exigences d’un procès équitable.
Les avocats du Barreau du Val d’Oise ont rédigé des conclusions-type afin de solliciter le renvoi de l’affaire, avec supplément d’information, sur ce fondement, afin qu’il soit demandé aux services de police et de gendarmerie d’instruire aussi à décharge, sur la personnalité, en procédant à des auditions de membres de la famille, de collègues, ou de faire procéder à des expertises de personnalité. Ce renvoi a parfois été accordé à Pontoise.
Les avocats attendent des magistrats de considérer cette demande avec loyauté, en ne la caractérisant pas nécessairement comme dilatoire mais tendant à apporter à la juridiction elle-même des éléments de personnalité nécessaire à sa décision.
M. GRESSOT, Secrétaire Général auprès du Premier Président de Reims, ancien Président de Correctionnel et JAP au TGI de Sens
Sur le plan théorique, il est rappelé que l’ancien Code Pénal prévoyait un minimum et un maximum de peine pour chaque infraction. Les circonstances aggravantes et atténuantes permettaient de se prononcer au-delà de ces limites. Il serait particulièrement intéressant d’analyser la concordance éventuelle entre les anciennes circonstances atténuantes et la notion de garanties d’insertion ou de réinsertion prévues par la loi du 10 août 2007.
Il est également rappelé qu’il existait déjà avant cette loi des peines automatiques dans le droit positif français, notamment la peine d’annulation du permis de conduire en cas de récidive de conduite sous l’emprise d’un état alcoolique.
Enfin, même dans le cadre de l’application de la loi sur les peines plancher, les peines fermes inférieures ou égales à un an restent aménageables par le juge d’application des peines.
Le travail du juge est à replacer dans un contexte qui n’est pas évident pour la magistrature, et qui a des incidences sur le justiciable. Cette nouvelle loi va à l’encontre du principe d’individualisation des peines et laisse peu de place à la personnalité. Or, le prononcé d’une décision pénale n’équivaut pas seulement à prononcer un terme, un coup d’arrêt. Il faut certes une sanction mais qui doit s’inscrire dans une évolution et la perspective d’un avenir. Le risque de l’automaticité de la peine est de faire disparaître le facteur humain, alors que l’attention au justiciable est importante et constitue l’un des premiers devoirs du juge.
Par cette loi, le législateur se substitue au juge, comme si les juridictions ne prenaient pas en compte l’état de récidive légale dans leur décision.
La loi met en place un raisonnement inversé, qui consiste à exiger une motivation explicite en cas de décision dérogeant à la peine minimale. Il faut cependant trouver des éléments de personnalité dans le dossier, d’où l’importance d’une enquête de personnalité de qualité. Il faut par ailleurs se demander dans quelle mesure le juge qui refuserait d’appliquer la peine minimale n’engagerait pas sa responsabilité.
Cette loi révèle un manque de confiance envers les magistrat à qui il conviendrait au contraire de laisser une plus grande marge de manœuvre.
DEBAT
Les modérateurs rappellent que lors du débat devant le conseil constitutionnel, le gouvernement a donné une définition des « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion » : « des garanties qualifiables d’exceptionnelles en ce sens qu’elles sont de nature à établir sa capacité à rompre avec son passé judiciaire […] ce caractère exceptionnel se déduit du rapprochement d’un côté de la nature, de circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, et de l’autre de la crédibilité et du sérieux des garanties d’insertion et de réinsertion offertes par l’intéressé ».
A QUI REVIENT-IL D’APPORTER DES ELEMENTS DE PERSONNALITE ?
Cette question, ouverte par l’intervention de M. HUMBERT, a longuement alimenté le débat. Il a été rappelé qu’il n’est pas exact que les services d’enquête n’ont pas de culture de la personnalité, car les gendarmes font habituellement un interrogatoire de CV en préalable à toute audition, ce que ne font pas les policiers. Il pourrait donc être procédé à une généralisation de cette trame d’audition, qui ne reste cependant qu’une audition et exclue en l’état toute vérification. Malgré tout, ce n’est pas seulement une question de culture mais aussi de formation, il existe des professionnels de l’enquête et des professionnels de l’humain, du social en la personne des travailleurs sociaux. M. HUMBERT a rappelé qu’il revenait au parquet de mettre en état le dossier pénal, et ainsi d’apporter tous les éléments nécessaires, de fait comme sur la personnalité. Si les policiers ou enquêteurs n’ont pas de culture des investigations sur la personnalité, il revient au magistrat qui les dirige de le faire en ce sens.
Le principe même de confier des investigations de personnalité aux services d’enquête est débattu. L’enquête de personnalité, selon M. CASOL, ne se résume pas à un entretien et à des vérifications, mais apporte également une analyse de la personnalité qui nécessite certaines compétences professionnelles, que ne présentent pas un gendarme, un policier ou un magistrat. Un lien s’établit entre l’enquêteur et l’intéressé lors de l’entretien, qui ne peut s’établir avec un policier ou un gendarme qui ne peuvent, par leur statut, créer les conditions nécessaires à un climat de confiance. Par ailleurs, certains indiquent que les policiers et gendarmes ont une vision à charge, et ne peuvent fournir au magistrat des informations objectives, crédibles et vérifiées comme le font les travailleurs sociaux. Me ZAJAC conteste ce point de vue, rappelant que dans le cadre d’une procédure d’instruction, ce sont les gendarmes et policiers qui font les commissions rogatoires de CV et que dans le cadre de la flagrance est essentiellement un manque de temps et de moyens.
Certains rappellent que malheureusement les enquêtes de personnalité ne sont pas suffisantes et attendent beaucoup des informations qui pourraient être apportées par l’avocat. M. CASOL reconnaît que tous les enquêteurs de personnalité ne sont pas toujours compétents, et qu’il arrive que l’enquêteur considère qu’en cas de comparution immédiate annoncée, les choses sont jouées d’avance, à charge pour l’avocat d’apporter des éléments nouveaux.
M. ALLAIX rappelle que de nombreux éléments peuvent être apportés à l’audience, par le président lors de l’instruction sur la personnalité. Un contact peut se nouer à cette occasion pour amener l’intéressé à parler de lui, ce qui permet éventuellement de caractériser sa capacité à rompre avec son passé judiciaire. L’importance des notes d’audience est rappelée, car il ne pourra jamais être reproché à un magistrat de fonder sa motivation sur des déclarations actées à l’audience.
LE RENVOI DE L’AFFAIRE POUR SUPPLEMENT D’INFORMATION SUR LA PERSONNALITE :
Les magistrats indiquent aux enquêteurs de personnalité qu’ils ne doivent pas hésiter à mentionner dans leurs conclusions qu’ils n’ont pas eu le temps de procéder aux vérifications nécessaires, et de solliciter un renvoi de l’affaire afin qu’il soit procédé à ces vérifications.
Me ZAJAC rappelle la position adoptée par certains membres du barreau de Pontoise, et indique qu’il convient de faire largement usage de l’appel et de la cassation afin que les juridictions supérieures tranchent le plus rapidement possible. Cependant, certains rappellent qu’il peut être difficile de convaincre le prévenu de l’intérêt d’un renvoi de l’affaire, sachant les risque de détention provisoire que cela implique.
Il est rappelé que, quelle que soit la taille de la juridiction, les possibilités de renvoi sont limitées par les questions d’organisation du tribunal. Cependant en cas de comparution immédiate, le renvoi à la demande du prévenu est de droit.
DEFINITION DES GARANTIES EXCEPTIONNELLES D’INSERTION OU DE REINSERTION :
La « capacité à rompre avec son passé judiciaire » ne peut pas être évaluée lors d’un entretien d’une demi-heure et avec une rémunération de 70€, selon M. CASOL. Il ne faut pas confondre enquête sociale rapide et divination…
Certains se demandent si cette impossibilité de définir ces garanties exceptionnelles n’est pas une volonté de les rendre inapplicables afin que les peines minimales soient prononcées systématiquement.
Se pose la question suivante : à quoi et à quand se réfère le caractère exceptionnel exigé par la loi ? Il ne faut pas oublier qu’il est question d’une personne en garde à vue ou qui vient de commettre un délit très récemment, et qui doit présenter des garanties exceptionnelles qui seront les mêmes que la situation dans laquelle il a commis le présent délit. Les perspectives sont donc minces et révèlent une tendance à l’alourdissement des peines prononcées, car la réflexion sur les possibilités de dérogations ne sont pas la préoccupation de tous les professionnels.
Il est proposé une définition du caractère exceptionnel de ces garanties fondée sur la personne du délinquant lui-même. L’exception, au sens du dictionnaire, c’est ce qui sort de l’ordinaire. Au lieu de considérer l’ordinaire en fonction du « bon père de famille », on peut le considérer par rapport à l’histoire personnelle du prévenu. Ainsi, une personne sans domicile depuis de nombreuse années pourrai présenter des garanties « exceptionnelles » de réinsertion si elle vient de trouver une place, même provisoire, dans un centre d’hébergement d’urgence. De même un jeune délinquant isolé de sa famille pourrait relever de ce domaine s’il vient de se mettre en couple et attend un enfant. Il en serait de même pour un toxicomane venant de débuter une cure de Subutex. Certains sont cependant dubitatifs sur la possibilité réelle pour une juridiction de motiver le caractère « exceptionnel » des garanties d’insertion et de réinsertion sur deux nuits en hébergement d’urgence, et s’interrogent sur la correspondance entre cette définition et l’esprit de la loi.
Il est rappelé que selon les juridictions, les peines minimales sont prononcées systématiquement « ferme » ou ailleurs assorties du sursis, que les garanties exceptionnelles ne sont pas appliquées aussi souvent selon les juridictions.
DECISION D’ORIENTATION DES POURSUITES :
La comparution immédiate n’est pas le mode de poursuite idéal lorsque la peine plancher est encourue, et les parquetiers de devraient pas poursuivre en CI dans ce cas en raison du manque de temps nécessaire à la réunion d’information sur la personnalité. M. HUMBERT rappelle que s’il cherche, dans le cadre d’une direction d’enquête à charge et à décharge, à apporter des éléments de personnalité à la juridiction qui lui permettront éventuellement de déroger aux minimums, il ne cherche pas toujours à écarter cette loi, car il est des hypothèses où la peine plancher est méritée, de même que l’orientation en CI est pleinement justifiée. Par ailleurs, la loi votée doit s’appliquer, cela s’impose conformément au principe d’égalité du citoyen devant la loi.
CONCLUSION
La loi du 10 août 2007 impose à tous les professionnels d’être attentifs à leur rôle dans la chaîne pénale, à leurs pratiques. Ce débat a porté essentiellement sur son application dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, car nous n’avons aucun recul sur les procédures de COPJ et de CPPV-CJ. Par ailleurs, des conséquences importantes sont à prévoir pour les juges d’application des peines, tant sur le plan de la charge de travail que sur la définition de l’insertion et de la réinsertion.
Cette loi apporte un éclairage sur la conception que le législateur a de la peine. L’emprisonnement est au cœur du dispositif pénal, tout choix de peine s’axe autour de lui. Cette conception se révèle également dans d’autres réformes récentes, comme la rétention de sûreté et la limitation des possibilités du recours au sursis simple ou au sursis avec mise à l’épreuve ou encore la rétention de sûreté, outil de prévention de la récidive avec la notion d’enfermement qui se trouve au coeur du dispositif. Le débat sur les peines plancher nourrit un débat plus général sur le sens de la peine.
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