Le Rapport du Sénat du 10 juillet 2007 intitulé “un recrutement diversifié, une formation ambitieuse - les impératifs d’une justice de qualité” à pour principale innovation, de proposer la création d’une nouvelle période de probation après celle de la formation initiale, pendant une durée de deux à trois ans, pour tout magistrat débutant. Le Sénat va même plus loin car il préconise que pendant cette nouvelle période de probation le magistrat référendaire ne soit affecté que dans des fonctions du parquet, ou à la rigueur, du siège mais en collégialité.
Sur le principe, ce nouveau statut ne nous paraît pas répondre à une nécessité. Considérer qu’une nouvelle période de formation est nécessaire après la formation initiale des magistrats, au delà de l’habituelle formation continue, c’est considérer que la formation initiale telle que mise en oeuvre est un échec puisque pas suffisante à elle seule. De plus, il n’est pas dit en quoi cette période de probation consiste et quels en sont les objectifs. S’agit il de tester les compétences techniques du magistrat débutant ou ses qualités humaines ? S’il s’agit de ses compétences techniques, le magistrat débutant doit pouvoir bénéficier comme tout magistrat de la formation continue ou l’appui des associations fonctionnelles. S’il s’agit de ses qualités humaines qui lui feraient défaut sans que cela n’ait été observé pendant toute la période de formation à Bordeaux, le magistrat débutant, comme n’importe quel magistrat qui est aussi soumis aux aléas de la vie, doit voir sa situation appréciée par les chefs de cours puis par la voie ordinaire. Il revient aux chefs de juridiction, aux chefs de cours et au CSM de prendre leurs responsabilités. Ce n’est pas aux magistrats débutants de payer le manque de courage de leurs aînés.
Sur le fond, cette réforme pose un véritable problème de fonctionnement. Le Sénat entend créer un statut de magistrat de plein exercice soumis à une période de probation qui par définition peut échouer. Or bien au contraire, un tel magistrat ne peut être de plein exercice parce que justement soumis à une période de probation qui annihile pour partie son indépendance. Comment pourrait il faire valoir son avis dans une collégialité dont le président serait susceptible de l’évaluer et donc de lui reprocher d’avoir donné un avis différent du sien lors d’un délibéré ? Imposer une période de probation c’est empêcher cette indépendance. Cette situation serait d’ailleurs encore plus délicate à vivre dans une petite juridiction et aurait pour conséquence d’isoler le magistrat débutant alors qu’il faut au contraire l’entourer. Le statut d’auditeur de justice est déjà extrêmement difficile à vivre en ce qu’il fausse le plus souvent les relations avec les magistrats qui doivent l’évaluer. Imposer une nouvelle période de deux années sur le même régime, tout en imposant en plus au magistrat probationnaire de prendre des décisions en son âme et conscience est totalement irréalisable et très dangereux sur les garanties d’une justice de qualité.
De plus, le Sénat préconise que ces magistrats soient affectés uniquement à des fonctions du parquet ou subsidiairement à des fonctions collégiales du siège tout en étant gérés par les chefs de cours. Le rapport du Sénat manque de précision sur ce point et laisse entendre que ces magistrats pourraient être affectés selon les cas soit au siège, soit au parquet, ce qui est formellement impossible en raison de la séparation du siège et du parquet. Imposer au magistrat débutant des fonctions soit du parquet soit de collégialité a aussi pour conséquence de leurs donner moins de responsabilité qu’un juge de proximité, ce qui est une aberration au regard de la formation de la formation respective qu’ils reçoivent !
Le Sénat présente cette réforme comme une manière pour les chefs de cours de gérer au mieux les effectifs des magistrats, assimilant leur gestion aux magistrats placés. Les magistrats placés peuvent être affectés à n’importe quelle fonction du siège s’ils sont juges placés ou du parquet s’ils sont substituts placés. Cette fonction est justement contestée en ce qu’elle est ouverte à des magistrats débutants et donc manquant d’expérience qui doivent passer d’une fonction à une autre ou d’un tribunal à un autre, en s’adaptant rapidement à des contentieux très divers. Il est très surprenant que le Sénat assimile ces deux statuts vu les critiques faites aux magistrats placés !
L’AJM pense que le Sénat a commis une erreur importante et a confondu accompagnement des magistrats débutants et période de formation et donc de probation. Elle est consciente des débats entourant la jeunesse des magistrats et leur inexpérience. C’est une des raisons de sa création. L’AJM a pour objectif de permettre un accompagnement des magistrats débutants. Elle considère que cette démarche ne peut être efficace que si elle est dégagée de toute évaluation. Une forme de tutorat institutionnel pourrait être mis en place comme il est d’ailleurs réalisé dans de petites juridictions. Cet accompagnement doit être tant technique via les associations fonctionnelles que institutionnelle et morale via une structure comme l’AJM. C’est l’accompagnement des magistrats débutants qui permettra de faciliter son adaptation à ses nouvelles fonctions et non une nouvelle période de probation.
Au delà de ces critiques, l’AJM souhaite rappeler que l’expérience professionnelle n’est pas toujours gage de compétence, et que la collégialité n’est pas uniquement l’apanage des magistrats débutants.
Les magistrats débutants apportent un renouvellement des pratiques professionnelles ainsi qu’une modernisation de l’institution à l’image des évolutions de la société. La magistrature à tout à perdre d’une réforme qui se coupe de cette importante force de dynamisme.
Commentaires
Répondre à cet article