La question des peines et des conditions de leur aménagement est un sujet technique dont on peut déplorer la complexité. Il est par ailleurs perçu comme rébarbatif par de nombreux professionnels... Afin d’alimenter la réflexion sur le sujet, Julien GOLDSZLAGIER, magistrat, a pris sa plume pour proposer un article intitulé "La fin de l’aménagement automatique des peines : pourquoi pas ?", publié dans la revue DALLOZ ACTUALITE (édition du 26 mai 2017).
"La justice pénale n’a pas animé, du moins dans les projets des candidats, la campagne pour les élections de 2017. Le débat, assez fruste, semble s’être ordonné autour de la construction (ou non) de places de prison nouvelles et les conditions des aménagements de peine.
Les principes qui gouvernent le droit en vigueur, en effet, veulent que soient explorées par un juge de l’application des peines les possibilités d’aménager une peine d’emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel dès lors qu’elle n’excède pas deux ans (ou un an, lorsque le condamné est en récidive). De cette façon, une peine de huit mois d’emprisonnement ferme pourra faire l’objet d’un aménagement sous forme, par exemple, de placement sous surveillance électronique au domicile du condamné. Ce qui suscite l’étonnement, parfois l’indignation, très fréquemment l’incompréhension (la moindre n’étant pas l’écart sémantique entre le caractère « ferme » de la peine d’emprisonnement prononcée et l’absence pure et simple d’incarcération).
Cette révolte du sens commun a été, semble-t-il, perçue de trois des candidats à l’élection présidentielle de 2017 – François Fillon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron –, qui promettent de revenir sur ce qu’ils désignent comme l’aménagement « automatique » ou « quasi-automatique » des peines d’emprisonnement et promettent d’augmenter le nombre de places de prisons.
Une telle position suscite le doute, voire une franche méfiance, de la part de nombreux universitaires et praticiens – magistrats, conseillers d’insertion et de probation –, qui soupçonnent l’arrière-pensée électoraliste sous l’affirmation du sens commun. Ce qu’on ne peut écarter tout à fait.
Au support de leur opposition, pour l’essentiel, un scepticisme – un pessimisme – sur les vertus sociales et individuelles de l’incarcération et une confiance mesurée, mais volontaire, dans un système porté vers la réinsertion du délinquant plutôt que vers sa relégation. Au-delà peut-être, le sentiment que les propositions des candidats reposent sur un mépris volontaire des réalités de la justice pénale et une exploitation cynique de l’ignorance du public.
On pourrait, cependant, ne pas écarter en bloc le discours des candidats, pour en retenir les éléments d’une critique utile du système de justice pénale tel qu’il fonctionne aujourd’hui (dont on retiendra, pour la bonne bouche, qu’il est largement issu de lois votées en 2004 et 2009, sous une majorité de laquelle se réclame François Fillon).
Le principal reproche que l’on peut faire au régime actuel de l’application des peines, au regard de la critique implicite qui en est faite par les candidats, est celui de son apparente incohérence : comment une personne condamnée à une peine d’emprisonnement ferme peut-elle échapper à toute incarcération ?
Le juge, on veut parfois l’oublier, exerce une fonction politique. Les décisions qu’il rend sur une affaire particulière touchent la communauté entière et la peine infligée au condamnée a vocation à réparer la meurtrissure causée au corps social. Le juge ne fait pas la société mais il la répare. De là que la justice est rendue publiquement.
Or si la justice pénale s’affiche volontiers répressive lors de l’audience correctionnelle, elle perd, dans les méandres de l’exécution des peines prononcées, tout à la fois son caractère public et son caractère intelligible. Les décisions d’application des peines se rendent en cabinet ou en chambre du conseil, hors la présence du public, en sorte que celui-ci ignore tout des principes qui guident les juges, et de la réalité humaine qui gouverne leur appréciation.
En outre, les règles d’exécution des peines présentent une complexité telle qu’elles échappent très largement à la connaissance du public et souvent des professionnels. Sauf les magistrats qui exercent des fonctions spécialisées, on ne jurerait pas que les modalités et les contraintes de l’application des peines sont parfaitement connues de tous les juges et représentants du ministère public lors de l’audience correctionnelle.
Un tel système manque ainsi doublement à la fonction politique de la justice pénale. Parce que ses modalités de mise en œuvre sont empreintes d’obscurité et de technicité, il porte en lui les germes d’un sentiment de spoliation du citoyen qui voit s’estomper la justice rendue devant lui. Parce que ce même système est construit pour contrarier la peine prononcée (aménager, c’est écarter la peine à laquelle le tribunal a condamné), il autorise le soupçon d’une institution de bonneteau, qui, par un tour de passe-passe, soustrait le délinquant au sort qui lui était promis. Que le fonctionnement d’une institution suscite le soupçon sur sa loyauté à l’endroit des citoyens mérite, au moins, qu’elle s’interroge.
Au surplus, le système mis en place depuis 2004, en raison de son systématisme, comme de son hermétisme, a permis une adaptation des acteurs judiciaires qui renforce le caractère autonome de son fonctionnement. Du côté du juge correctionnel, la conscience qu’une autre fonction pénale suivra (comme un filet de sécurité) autorise parfois le confort du prononcé d’une peine ferme, peine ferme que l’on sait susceptible d’être aménagée dans de meilleures conditions de temps et de connaissance du condamné par le juge de l’application des peines. Du côté du juge de l’application des peines – et du parquet –, la conscience que le tribunal a prononcé une peine aménageable suscite parfois des efforts d’aménagement que ne justifierait pas la situation du condamné. L’un et l’autre concourent à nourrir aux yeux du public – ou d’acteurs intermédiaires comme les forces de l’ordre – l’idée d’une hypocrisie généralisée.
Ce n’est pas une hypocrisie des acteurs, cependant, mais une hypocrisie du système. On peut faire crédit aux acteurs de rechercher les solutions concrètes à des situations tout aussi concrètes. Ils se heurtent, cependant, aux contraintes abstraites de la technicité de la loi et aux conditions matérielles du fonctionnement de la justice pénale.
Une réforme des principes de l’application des peines, de ce point de vue, ne manquerait pas de sens (le sens que l’on doit au justiciable que l’on condamne et au peuple français au nom duquel on condamne).
Que l’aménagement des peines ne puisse conduire à la substitution pure et simple d’une mesure à une autre paraît, à cet égard, souhaitable. Aussi bien une peine d’emprisonnement ferme ne devrait pouvoir être aménagée avant d’avoir été, au moins partiellement, exécutée sous la forme d’une incarcération. C’est ce qu’entendent le condamné et le public lors du prononcé de la décision, et c’est d’une certaine façon, ce que la justice leur doit.
Le large éventail des mesures de probation – sursis avec mise à l’épreuve, contrainte pénale, placement sous surveillance électronique, voire semi-liberté – qui assujettissent le condamné tout en lui permettant de conduire une vie de personne libre constituent des alternatives qu’il pourrait être loisible au juge correctionnel de préférer, quitte à ce qu’il en remette les modalités concrètes au juge de l’application des peines lorsqu’il n’a pas (et c’est souvent le cas) les moyens de déterminer lors de l’audience correctionnelle le régime de contrainte le plus adapté au condamné.
Autrement dit, le tribunal correctionnel devrait choisir entre l’emprisonnement ferme, qui entrainerait nécessairement l’incarcération du condamné, et d’autres peines qui n’imposent que sa (plus ou moins intense) sujétion, sans que les subtilités actuelles du régime des peines (mandat de dépôt, peine convertissable ou simplement aménageable) viennent en obscurcir le sort et le sens.
On pourra soutenir contre une telle réforme, légitimement, qu’elle aurait pour effet mécanique une explosion des incarcérations dans un contexte pénitentiaire déjà tendu. Et qu’au-delà d’une clarification sémantique apparente, c’est l’équilibre du système qui serait atteint. En guise d’objection, deux observations :
En premier lieu, le juge correctionnel qui prononce aujourd’hui une peine aménageable ne souhaite pas l’incarcération du condamné (sans quoi, il pourrait l’imposer par un mandat de dépôt). On peut imaginer que le même juge préfèrera demain, dans les mêmes circonstances, prononcer une peine alternative. En réalité, le juge correctionnel intègre, même de façon imparfaite, l’existence du système d’application des peines dans sa décision, de sorte que la perspective d’un aménagement ne constitue qu’une variable du calcul qu’il mène, aux fins d’assurer ou prévenir l’incarcération du condamné. En définitive, le régime suggéré par les candidats aurait cette vertu d’imposer au juge correctionnel de se prononcer sur l’incarcération du condamné et de réduire de la sorte l’incertitude qui pèse largement aujourd’hui sur le sort des peines d’emprisonnement prononcées.
Ajoutons à cela que dans le système actuel, et du fait des délais d’exécution des peines, notamment de l’inscription au casier judiciaire, le juge correctionnel peut ignorer la réalité de la situation pénale du prévenu qu’il condamne. Et croyant prononcer une peine aménageable, il infligera une sanction qui entraînera l’incarcération du condamné (le juge de l’application des peines constatant ultérieurement que le quantum total des peines d’emprisonnement prononcé excède le maximum légal). En quoi le filet de sécurité se révèle finalement un corset.
S’agissant, en second lieu, de l’efficacité d’une modification législative sur les décisions individuelles des magistrats, il doit être observé que, malgré la mise en place de l’aménagement dit ab initio (avant l’incarcération), le quantum moyen des peines d’emprisonnement ferme n’a cessé de croître, comme la population carcérale. Signe que, malgré un sens clair donné à la loi en défaveur de l’emprisonnement, les modalités actuelles de sa mise en œuvre ne constituent pas des incitations suffisantes pour les acteurs judiciaires.
Aussi, et sans négliger que le diable est dans le détail (et en matière pénale, peut-être plus qu’ailleurs), il paraît ainsi possible, en préservant l’économie du système actuel, d’en mettre à jour le fonctionnement, au bénéfice de son intelligibilité, et donc de sa légitimité".
NB : L’auteur précise que les propos tenus n’appartiennent qu’à lui et n’engagent pas le parquet de Paris, non plus que ses collègues magistrats.
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