Traditionnellement, il n’est pas plus austère qu’une audience de rentrée solennelle. Au début de chaque année civile, les chefs des juridictions réunissent les autorités locales afin de leur présenter leurs bons voeux, déclarer l’année judiciaire précédente close, la nouvelle année ouverte, de se féliciter d’avoir de si brillantes statistiques dans un contexte où les moyens manquent si cruellement. L’intérêt principal et inavoué de ce genre de pince-fesse est à mon avis de montrer que la magistrature n’est pas un îlot isolé dans la Cité.
Comptez bien 1h30 de discours avant que l’assemblée ne se mette lentement en marche vers le buffet, avec un air indifférent ; car ça fait toujours mauvais genre de montrer aux petits fours qu’ils nous intéressent. Après quelques minutes, le monde judiciaire se détend un peu et il arrive qu’on assiste ça et là à quelques effusions de couleurs dans ce monde gris-sobre. A la faveur d’une ivresse légère, les langues se dénouent, les avis se partagent, les inquiétudes se dévoilent et on passe finalement un bon et franc moment de convivialité en se disant ce qu’on a à se dire.
En cette année 2009, il semble que les effusions de couleur n’attendent ni le buffet ni l’ivresse légère. A Lille, le Procureur de la République tire à boulets rouges sur le Juge d’instruction dans son discours officiel. A Bourges, certains magistrats préviennent qu’ils ne viendront pas habillés de leur robe d’usage et se voient menacés d’une sanction administrative par leur hiérarchie. A Nancy, les membres du Parquet se font sévèrement rappeller à l’ordre parce qu’elles osent applaudir un discours du Président où il est question d’indépendance. A croire que - cette année - les magistrats sont passés par le buffet avant d’aller à l’audience !
Mais quel est donc ce vent de folie qui souffle en ce moment sur la magistrature ? Certains observateurs avisés se demanderont si ces inhabituelles manifestations d’audace n’annoncent pas - dans un air chargé d’électricité - quelque violente tempête. Je pense que les troupes d’ordinaires si dévouées à la chose publique, si soumises à l’ordre républicain, sont en train - lentement mais sûrement - de sortir de leur torpeur et de se mettre en marche vers l’idéal de Justice qu’ils soutiennent. Leurs chefs ne s’y trompent pas et tâchent de réagir aussi promptement que maladroitement pour ramener le calme dans leurs rangs. En 2009 comme en d’autres temps, une mutinerie fait toujours aussi mauvais genre dans une carrière d’officier !
Mais il n’est plus question aujourd’hui de conditions de travail, d’empilement de réformes, de dénuement de moyens, de manque de considération... Ce qu’on touche avec les réformes qui s’annoncent, c’est aux valeurs essentielles de ceux qui rendent la Justice et qui s’en font encore une haute idée. Cette Justice, ils la veulent impartiale et indépendante. Ils la veulent moderne et humaine. Aussi extraordinaire que cela paraît, ils la veulent juste ! Les bravades, les mépris, les désillusions sont autant d’éclairs qui déchirent le ciel judiciaire depuis quelques mois. Qui s’étonnera que l’orage éclate désormais et qu’on entende le tonnerre gronder ?
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