Quand on décide de devenir magistrat, on pense qu’il y a de la noblesse et de la grandeur à résoudre les problèmes, petits ou grands des citoyens, on pense que c’est une fonction indispensable, on pense que c’est beau et on envie ceux qui exercent ce métier ; on se réjouit par avance d’avoir enfin trouvé une fonction qui nous permettra de mettre en oeuvre nos idéaux et de les confronter à une pratique.
Quand on est un jeune magistrat, on continue à penser que les normes ont une importance, qu’elles servent à réguler les conflits sociaux et qu’elles sont indispensables à l’organisation de la société, mais notre idéal commence à s’étioler, jusqu’à se réduire ... bientôt, dans longtemps j’espère pour terminer comme ceux que d’aucuns regardent avec mépris comme des juges et procureurs qui ont perdu tout sens de la conscience ; on devient alors un magistrat qui a perdu tout sens du devoir.
Alors, il y a les qualités humaines, propres à chaque individu qui font que certains ont d’avantage de persévérance dans leur idéal et puis il y a les plus lucides, ceux qui vont perdre la foi très vite. Parce que je suis encore un jeune magistrat et que j’ai peur de devenir trop vite désabusé, alors qu’il y a des choses si simples à exposer qui ne sont pas dites, je me sens encore la velléité d’en pointer quelques unes : parce que l’exécutif propose des lois adoptées par une majorité aux ordres sans que personne ne vienne jamais en voir les effets dans les tribunaux ; parce que le règne de l’apparence et du communément admis demeure sans que personne ne prenne plus le temps d’expliquer, d’exposer aux citoyens le sens et le fonctionnement de leur justice ; parce qu’on explique à celui qui a subi un dommage que les responsables seront sévèrement punis, parce qu’on expose à celui qui en est à sa vingtième infraction que la peine ferme qu’il doit enfin purger sera aménagée ; parce qu’il est tellement plus facile en application des textes en vigueur de placer en détention provisoire que de porter à l’écrou une condamnation pourtant définitive ; parce qu’il faut être plus sévère avec la délinquance à cause de la fameuse “escalade de la violence” alors qu’une peine de 24 mois de prison ferme doit aujourd’hui être aménagée ; parce qu’il faut feindre de croire le travailleur social qui dit que le condamné a vraiment compris le sens de la peine et qu’il regrette les faits qu’il a commis sinon on a perdu toute humanité ; parce qu’il faut être en accord avec le personnel politique qui énonce des principes cohérents en apparence et fait voter des lois toujours plus complexes, toujours plus absurdes ;
Parce que je n’ai pas envie de me réveiller à l’aube de la vieillesse, sans attente, sans espoir, épuisé et parce que comme tout un chacun, je ne veux pas d’une société désorganisée où règne le chaos et l’inhumanité ; parce que le temps où je croyais encore n’est pas si loin et que je m’en souviens avec le sourire ; Parce qu’il est encore temps de faire quelque chose, enfin je crois, il est temps de nous mobiliser et de transmettre à nos politiques et à nos citoyens ces éléments indispensables à la compréhension de la société dans laquelle ils évoluent.
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