Le Ministère de la Justice lance avec fracas une campagne publicitaire pour recruter 270 magistrats cette année. Annoncée devant les magistrats en formation à l’École nationale de la magistrature par le garde des Sceaux en personne, cette campagne s’affiche même en grand sur les marches du palais de justice de Paris. Du jamais vu pour recruter dans notre profession, alors même que seulement 125 nouveaux magistrats prendront leur poste cette année !
Dans le même temps, la liste des postes qui leur sont proposés vient d’être publiée et elle n’a jamais été aussi inquiétante. Le constat est sans appel : 58% de postes de substituts du procureur (contre 42% de juges du siège), 26% de postes de magistrats placés (remplaçants envoyés quelques mois sur des postes vacants et changeant donc régulièrement d’affectation), peu de postes spécialisés. Trois axes forts : le départ forcé en outre-mer, la précarisation du corps avec le nombre de magistrats placés, et l’orientation massive vers le parquet.
Aucun poste de juge en région parisienne, et pas une seule affectation dans des ressorts comme ceux de Rennes ou Aix-en-Provence, qui sont les plus grandes cours d’appel. Aucun poste en surnombre, le dernier de la liste de classement devant donc nécessairement "choisir" le dernier poste de la liste. Or, avec un poste proposé à Fort-de-France et un autre à Cayenne, deux magistrats seront contraints de partir, sans d’ailleurs que leur déménagement, ni celui de leurs proches lorsqu’il est possible, ne soient pris en charge.
L’Association des jeunes magistrats (AJM) regrette que malgré les différents courriers adressés depuis deux ans par les organisations professionnelles, le Ministère de la Justice persiste à n’offrir aucun volant de postes, isolant ainsi des magistrats sortants d’école, avec les risques évidents induits en matière de qualité de la justice rendue. L’AJM dénonce également une liste très orientée vers le parquet et les magistrats placés.
Enfin, l’AJM déplore que la campagne publicitaire de recrutement ne soit qu’une poudre aux yeux, ainsi que le mépris avec lequel la Chancellerie traite les magistrats sortants d’école, qui vaut tous les discours d’intention. Quelle image dévastatrice pour la Justice "de demain" !
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Bonjour jeunes magistrats !
Voici le temps de la campagne de recrutements pour alimenter les prochaines promos. Tentant d’y céder car c’est un bien beau métier que vous faîtes. Mais une question me taraude : la satisfaction de faire ce métier résiste-t-elle aux conditions de travail inhérentes à la justice ? J’entends par là la course au papier, aux stylos, la pénurie de greffiers et des semaines de travail à rallonge histoire de tenter de faire baisser ces piles de dossiers qui font de la résistance ? Comment voyez-vous les choses ? Le métier de magistrait serait-il en fait un sacerdoce ??? Si certains veulent bien donner des éléments factuels au regard de leur charge de travail, je suis preneur ! Merci, bien à vous
Evidemment, je ne peux parler qu’à titre individuel, mais je crois que nous parlons d’une profession où les principes prévalent sur les contingences matérielles. Il faut être porté par notre volonté de bien faire, notre espoir de mieux faire, et au final, la satisfaction de résoudre très bien un petit nombre d’affaires. Et puis, une association comme la nôtre permet de partager notre expérience, de la rendre publique, d’émettre des souhaits et des critiques, et finalement, de toujours penser que demain la justice sera encore meilleure.
Avec vous ? ;)
Cordialement.
Merci d’avoir publié mon message. Après avoir recueilli quelques témoignages, notamment sur ce site (dont la vidéo de la manifestation de 2010), n’est-ce pas une grande désillusion d’arriver dans des juridictions aussi sinistrées ? Et surtout, peut-on faire correctement son métier sans faire 50h par semaine et plus ? De mon point de vue (très personnel), être magistrat nécessite d’avoir une vie privée équilibrée et donc d’avoir la possibilité de souffler le week-end sans prendre ses dossiers sous le bras et de ne pas prendre l’habitude de sortir après 19h le soir (sauf audience bien sûr). Est-ce idéaliste ? Cordialement
Comme quoi l’augmentation du nombre de magistrats n’empêche nullement la précarisation du statut et la paupérisation du corps... Cette augmentation y participe peut-être même...
Je ne crois pas que l’augmentation du nombre de magistrats (qui vise à éviter qu’un juge de l’application des peines ait en charge 1400 condamnés à suivre, ce qui est illusoire, qu’un tribunal correctionnel termine ses audiences à 2h00 du matin quand il faut continuer à juger sereinement le matin à 9h00 d’autres dossiers, que des mineurs en danger ne puissent être pris en charge rapidement en raison du nombre de dossiers suivis par un juge des enfants, qu’un divorce ne puisse être abordé avant un an du fait des stocks d’affaires en cours...), soit nécessairement en lien avec le fait de ne pas savoir prendre en compte la situation des magistrats, qui sont aussi des personnes à part entière, insérées pareillement dans la société. Mais le manque de personnel, qu’il s’agisse des magistrats ou des greffiers, est une réalité accablante, dont le public mesure mal les effets.
Pourquoi avoir supprimer les classes préparatoires pour les fonctionnaires de catégorie A qui veulent changer d’administration ?
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’article de Laurent MUCCHIELLI, sociologue et directeur de recherche au CNRS sur le site "Délinquance, justice et autres questions de société".
https://www.laurent-mucchielli.org/...