Le titre claque comme un coup de fouet dans le sommaire du Nouvel Obs. du 13 septembre 2007 : « Un tribunal en flagrant délire » ! Et il tient ses promesses… Paru sous la signature de Florence Aubenas, l’article dépeint le Tribunal de Grande Instance de Nanterre comme une grande maison de fous où se côtoient, pêle-mêle, un substitut du procureur se gaussant du testicule arraché d’un exhibitionniste ; des greffières morbides ou écervelées qui ne savent pas à qui passer un appel urgent ; un juge correctionnel imitant compulsivement des petits rongeurs à l’audience ; un doyen des juges d’instruction résigné à voir ensevelies ses affaires politico-financières et un chef de juridiction désabusé qui n’aime plus son métier. Et si cela ne suffisait à décrédibiliser la juridiction, le lecteur est prévenu dès les premières lignes : pas un condamné à la sortie d’une audience ne comprend sa peine !
Nul ne contestera la véracité des épisodes rapportés par Mme Aubenas. Mais pour les magistrats qui l’ont accueillie pendant 5 semaines auprès d’eux, le sentiment d’avoir été incompris, voire trahis, est cuisant. Ils n’ont pas été avares de leur temps pour la recevoir, lui permettre d’assister à leurs actes quotidiens et d’en débattre avec elle au cours de longs entretiens. Après des journées entières passées en sa discrète et bienveillante compagnie, ils ont laissé entrevoir sous les coutures de leurs robes noires et par delà leurs satisfactions, leur discipline professionnelle et leur engagement moral, les humains qu’ils étaient ; avec leurs doutes, leurs faiblesses, leurs interrogations. Mme Aubenas était libre bien sûr de choisir de ne rapporter que cette part d’ombre. Mais alors, elle aurait pu tirer profit des 5 semaines et des 5 pages consacrées à la Justice pour aller interroger au fond ces moments ordinaires de la vie judiciaire.
Car, Mme Aubenas, en retranscrivant la légèreté de ton du substitut, avez-vous envisagé qu’il s’agissait d’un moyen pour le magistrat de résister au stress d’une permanence et d’échapper aux torrents de misère, de crimes et de délits qui se déversent à chaque instant sur son bureau ? En décrivant ces entretiens avec le justiciable, avez-vous abordé avec les juges la difficulté de communiquer avec un public de plus en plus agressif, revendicatif et de moins en moins lettré ? Avez-vous remarqué qu’une audience fixée avec 30 dossiers ne laissait pas au juge le temps d’expliquer ses décisions ? En évoquant la morosité et le fatalisme des magistrats « financiers », avez-vous fait échos aux propositions qu’ils formulaient pour améliorer le traitement de ces affaires ? Avez-vous stigmatisé les inerties ou les résistances qu’ils dénonçaient dans certains autres milieux ? Avez-vous seulement soulevé cette évidence qu’à la sortie des audiences correctionnelles, les condamnés sont rarement satisfaits de leur sort ?
Il est décevant de constater que l’article, sous la plume d’une journaliste chevronnée immergée pendant 5 semaines dans la juridiction, soit resté si exclusivement descriptif, alignant des photographies instantanées qui – isolées de leur contexte et privées de problématique – deviennent une enfilade de malencontreuses caricatures.
La magistrature n’en sort pas grandie. Le journalisme non plus.
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