La question était sur toutes les lèvres des participants lors de la journée officielle de célébration des cinquante ans de l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) qui s’est déroulée le 29 avril 2009 à Bordeaux : Mais où sont les jeunes magistrats ?
Ce n’était pas faute de l’avoir répété dans tous les discours officiels : « seul compte l’avenir » (M BADINTER, ancien président du conseil constitutionnel), « je veux parler des évolutions nécessaires de l’Ecole » (M NADAL, procureur générale près la Cour de cassation), « le destin de l’Ecole est entre vos mains » (M LAMANDA, premier président de la Cour de cassation s’adressant aux jeunes). Mais force est de constater que les jeunes magistrats n’étaient qu’une poignée dans la salle, et les auditeurs de justice pas beaucoup plus. Bien sûr, l’école répètera que tous les auditeurs de justice et tous les magistrats étaient invités à cette célébration mais comment expliquer leur absence ?
Loin de mettre en avant la jeunesse, l’angle de cette journée officielle était la mise à l’honneur de la première promotion d’auditeurs de justice. Si cela a un sens lorsqu’on fête les 50 ans d’une école de la République, cela interpelle lorsque tous les intervenants à la tribune expriment leurs inquiétudes sur l’avenir de cette école, le maintien de son identité d’école professionnelle et, au travers elle, de l’unicité du corps des magistrats du siège et du parquet. Les jeunes magistrats, avenir de de la Justice, n’auraient-ils pas leur mot à dire ?
Cette célébration des cinquante ans de l’ENM a mis en évidence le décalage important entre les attentes des hautes personnalités de la justice quant aux missions de l’ENM et les préoccupations des jeunes collègues en fonction. En effet, à part s’être félicités du choix de Monsieur THONY comme directeur de l’Ecole, et de la récente réforme de la formation, les discours ont été comme à l’habitude centrés sur la nécessaire adaptabilité de l’école et sur la formation à l’humanité, l’éthique, et la déontologie, trois mots qu’on retrouve dans presque tous les discours. Si Monsieur BADINTER dans sa synthèse a rappelé qu’il fallait aussi que les magistrats soient compétents techniquement, aucun n’a rappelé qu’ils devaient être aussi indépendants. Or c’est cette indépendance qui aujourd’hui préoccupe au premier point les jeunes magistrats.
Michel DEBRE, l’instigateur d’une école de la magistrature, expliquait qu’un des objectifs de l’Ecole était de former des magistrats indépendants. Or aujourd’hui l’indépendance est une question de personnalité et non plus de statut, et les magistrats glissent tout doucement vers une culture « administrative » de soumission, pas forcément au pouvoir politique, mais à la hiérarchie et plus largement aux pressions constantes de leur profession. Faut-il s’en satisfaire et quelle responsabilité de l’école y trouver ?
L’indépendance nous paraît au coeur du savoir être magistrat. Considérer que son apprentissage va de soit alors que les magistrats en fonction s’inquiètent jour après jour de l’absence de recul et de distance de leurs jeunes collègues vis-à -vis de leurs partenaires, c’est négliger l’augmentation des pressions auxquelles doivent faire face les magistrats et oublier la difficulté à gérer ces pressions. Plus celles-ci sont nombreuses, plus le magistrat a besoin d’indépendance pour y faire face. Lorsque l’école ne forme plus à cette indépendance, comment s’assurer que le magistrat saura en faire bon usage ?
Bien sûr l’apprentissage de l’éthique, et des qualités humaines est essentiel et évitera peut être dans l’avenir un nouveau scandale dit d’Outreau. Mais que dira-t-on de l’ENM lorsqu’un scandale sur la soumission d’un juge aux pressions éclatera ? Si les jeunes magistrats sont plus forts de la culture du doute et de l’ « humanité », ils ont perdu leur culture de l’indépendance. L’école est responsable de cette situation puisqu’au delà d’un apprentissage technique elle infantilise les auditeurs de justice, les surveille et les menace s’ils posent une mauvaise question à un invité ou si leur tenue vestimentaire paraît déplacée. Le formatage des magistrats commence dès les premiers pas à l’école qui prend une part consciente de responsabilité dans la disparition de la culture de l’indépendance.
Ces célébrations des cinquante ans de l’ENM ont permis de confirmer si cela était encore nécessaire, l’importance de la présence de l’AJM dans le paysage institutionnel. L’ENM appartient à tous les magistrats et chacun doit pouvoir être informé de ce qui s’y passe et doit pouvoir participer à son avenir. Elles ont aussi permis de constater la nécessité d’un débat approfondi et sans tabou sur l’indépendance et la responsabilité des magistrats.
A l’aube de son cinquantenaire, l’AJM formule donc le voeu que l’ENM ne tombe pas dans de l’anti jeunisme inutile et saura faire face aux enjeux actuels de la Justice. Elle souhaite qu’elle n’oublie pas que l’indépendance aussi s’apprend et que sans cet enseignement, les magistrats de demain seront moins préparés à faire face aux évolutions de la Justice.
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