Quand les juges sortent délibérer, les portes se referment sur le secret de leurs débats. Deux questions occupent leur esprit : la personne est-elle coupable, et dans ce cas, quelle est la peine qui doit être prononcée ? En principe, ces réflexions reposent sur tous les éléments qui ressortent du dossier : les éléments de preuve, la reconnaissance éventuelle des faits, les conséquences de l’infraction sur la victime et sur la société, le cas échéant le risque de récidive, le casier judiciaire, les efforts de réinsertion... Pourtant, il est désormais un nouvel éclairage que certains magistrats entendent prendre en compte : comment la peine qui sera prononcée sera-t-elle reçue par la presse, et à travers elle, par l’opinion publique.
En effet, si toutes les affaires jugées chaque jour par les tribunaux de France n’ont pas la résonance d’une affaire Clearstream ou d’un procès Kerviel, néanmoins, dans toutes les salles de tribunaux, on trouve des journalistes, à tout le moins de la presse quotidienne régionale, venus rendre compte des affaires de tous les jours, celles qui sont présentées en comparution immédiate, ou celle qui ont eu une résonance locale. Les journalistes tiennent leur rôle d’oeil vigilant du travail des juridictions, et rendent publiques certaines des décisions pénales qui sont rendues tous les jours. Les titres sont parfois accrocheurs ; les juges qui ont rendu les décisions sont parfois surpris de l’écho auquel leur travail se trouve réduit (et qui est souvent le résultat de la mauvaise habitude d’un prononcé de peine trop expéditif et déclaré sans explication aucune, après une audience qui aura été souvent chargée) ; enfin, et surtout, les jugements sont aujourd’hui discutés et contestés sans retenue, moins par la presse que par ses lecteurs, sans toujours bénéficier de l’éclairage de la science juridique, du droit applicable, ou des débats au fond par quelque acteur de l’audience.
Face à cet état des lieux, on aurait pu envisager différentes réactions : que le Président justifie la décision et la peine à l’audience (ce que quelques magistrats trop rares font encore), que des discussions régulières avec la presse puissent avoir lieu, dépassant les trois mots que peuvent s’échanger parfois le ministère public et le journaliste... Toute réponse qui nécessite de consacrer un peu plus de temps à chaque audience.
Dès lors, d’aucuns entendent intégrer le facteur de l’opinion public dans le prononcé de la peine. Ainsi, il faudrait durcir la peine, pour que l’opinion l’accepte : si mettre une main aux fesses ou au panier d’un/e adolescent/e doit être renvoyée devant le tribunal, c’est sous la qualification pénale de l’agression sexuelle, parfois sur mineur/e de quinze ans. La seule gravité de cette infraction, indépendamment de l’acte lui-même, devrait donc justifiée une répression de plusieurs années d’emprisonnement, dont une partie ferme, pour prendre en compte la réaction que pourrait avoir l’opinion publique dans le cas contraire.
D’autres font valoir l’impact que pourrait avoir auprès de l’opinion publique une éventuelle récidive, et la mise en cause des magistrats qui auraient pris une première décision trop “laxiste”, pour défendre une approche plus répressive. Disparaît alors toute demie mesure, toute discussion sur les peines alternatives à l’emprisonnement (méconnues donc mal comprises par l’opinion), au profit d’une alternative simple : l’innocence ou la mort sociale par la détention. Si les décisions sont rendues au nom du peuple français, la fonction de juger implique de l’indépendance, afin notamment que celles-ci ne soient pas prises sous le coup de l’émotion, mais que soit jugé le seul fait, dans sa matière brute, au regard de ses conséquences réelles, et en tenant compte de la personnalité de l’auteur. Toute autre considération, et en particulier la manière dont le jugement sera reçu par l’opinion, devrait à mon sens rester à l’extérieur de la salle de délibéré. Sauf à ce qu’un jour, nous ne devions statuer sur tout dans une dictature du sentiment, et que le public soit appelé à participer, en tapant “1" pour “innocent”, “2" pour “emprisonnement.
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