A l’occasion de l’exécution de la peine de Jérôme Kerviel, les spéculations vont bon train sur les conditions d’exécution de sa peine et les aménagements qui pourraient être prononcés. Un point sur la situation légale du condamné.
I- la peine
Jérôme Kerviel a été condamné le 26 octobre 2012 par la Cour d’appel de PARIS à une peine de 5 ans d’emprisonnement dont 2 ans avec sursis. Cela signifie que deux ans ne seront pas exécutés si l’intéressé ne commet pas de nouveau délit (pour lequel au surplus l’intéressé serait condamné à une peine d’emprisonnement ferme) dans un délai de 5 ans, soit d’ici octobre 2017. En revanche, une peine de trois ans d’emprisonnement “ferme” a été prononcée par le Tribunal, et celle-ci, elle reste à exécuter.
Le Parquet de Paris a choisi d’attendre la décision de la Cour de cassation pour ramener la peine à exécution (ce qui n’était pas obligatoire et n’a pas toujours lieu). Celle-ci étant confirmée, depuis ce matin, Jérôme Kerviel est incarcéré.
A la lecture de la presse, il doit être constaté que la détention provisoire qui a déjà été exécutée par l’intéressé dans cette affaire, en 2008, s’élève à 41 jours. La détention provisoire est exécutée avant la condamnation, comme une mesure de sûreté, de protection de la société. En revanche, si une peine d’emprisonnement ferme est prononcée, cette détention provisoire doit être déduite de la peine à exécuter.
Ainsi, Jérôme Kerviel est incarcéré le 19 mai 2014. Il devrait donc finir sa peine le 19 mai 2017, mais comme 41 jours ont déjà été exécutés en détention provisoire, il terminerait sa peine au plus tard le 08 avril 2017.
II- les réductions de peine
On applique d’abord des crédits de réduction de peine, selon un dispositif instauré dans sa dernière version par la loi Perben du 09 mars 2004. Il faut rappeler que ces réductions de peine participent à maintenir l’ordre en détention : en effet, en cas d’incidents commis au cours de la peine, les crédits de réduction de peine pourront être retirés par le juge de l’application des peines, prolongeant ainsi la peine à exécuter (sans dépasser la peine prononcée ce qui serait contraire à nos principes constitutionnels).
Les crédits de réduction de peine sont calculés à partir de la peine prononcée, soit en l’absence de récidive, 3 mois pour la première année, et 2 mois pour les années suivantes. Ainsi, Jérôme Kerviel a d’ores et déjà bénéficié de 7 mois de réduction de peine (même s’ils ne sont pas définitivement acquis, tout dépend de son comportement).
Il faut également savoir qu’un autre système de réductions de peine existe, les réductions supplémentaires de peine peuvent être prononcées si des efforts de réinsertion sont exécutés pendant la détention. L’examen a lieu néanmoins a posteriori, soit avant la fin de la peine, soit au bout d’un an de détention. En l’espèce, ce ne sera donc pas avant mars 2015...
Donc, compte tenu des réductions de peine, Jérôme KERVIEL pourrait être libérable sept mois plus tôt, soit le 08 septembre 2016.
III- le placement sous surveillance électronique et la semi-liberté
Le placement sous surveillance électronique et la semi-liberté fonctionnent selon le même principe : le condamné a des heures de sortie autorisés, et le reste du temps il doit soit rentrer chez lui, sous le contrôle d’un bracelet électronique, soit rentrer dans un établissement pénitentiaire. La décision est prise par un juge de l’application des peines.
Ces aménagements de peine sont accessibles, en l’absence de récidive, pour une durée d’emprisonnement maximale de deux ans, depuis la loi Dati du 24 novembre 2009 (puisqu’avant c’était seulement un an d’emprisonnement). Par conséquent, ces aménagements de peine seront possibles à compter du 08 septembre 2014.
Il doit être observé qu’en l’état des lois, le placement sous surveillance électronique et la semi-liberté restent soumis au régime de l’emprisonnement, ce qui signifie que le condamné pourra encore bénéficier de réductions supplémentaires de peine par la suite.
IV- la libération conditionnelle
Autre choix qui s’offre au condamné, il peut solliciter une mesure de libération conditionnelle, c’est-à -dire qu’il est libéré, à charge pour lui de répondre aux convocations d’un juge de l’application des peines et d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation, ainsi qu’à un certain nombre d’obligations (comme le travail ou l’indemnisation des victimes par exemple). Si ce cadre n’est pas respecté, le condamné peut être réincarcéré, pour reprendre la peine d’emprisonnement là où elle s’était interrompue.
Depuis les lois Guigou du 15 juin 2000 et Perben du 09 mars 2004, en l’absence de récidive, la libération conditionnelle est possible dès lors que le condamné a exécuté la moitié de sa peine. On prend en compte, non pas la peine prononcée par le tribunal, mais la peine qui est réellement à exécuter, c’est-à -dire en fonction des réductions de peine qui ont été octroyées.
En l’espèce, il a déjà été déterminé que Jérôme Kerviel était libérable le 08 septembre 2016. Par conséquent, il aura exécuté la moitié de sa peine, en l’état le 14 juillet 2015. Néanmoins, d’ici, là , vous vous souviendrez qu’un examen des réductions supplémentaires des peines aura eu lieu, donc cette date pourrait être encore avancée (mais aussi repoussée si le comportement du condamné entraîne un retrait des crédits de réduction de peine).
Il faut observer que, dès lors qu’une décision de libération conditionnelle est prononcée, la situation pénitentiaire du condamné est figée : il ne peut plus y avoir, ni octroi de nouvelles réductions supplémentaires de peine, ni retrait de crédits de réduction de peine. Le condamné sera suivi au minimum jusqu’à la date de fin de peine (08 septembre 2016 en l’état), voire jusque un an plus tard (08 septembre 2017).
Précisons enfin que, comme le placement sous surveillance électronique et la semi-liberté sont exécutés sous le régime de l’emprisonnement, le condamné peut, dans les mêmes conditions de temps, bénéficier de la libération conditionnelle après l’un de ces aménagements de peine.
V- L’aménagement de peine “combo”
Non, ce n’est pas un terme juridique ! Mais il combine à la fois la libération conditionnelle et la mesure de placement sous surveillance électronique ou de semi-liberté. Un an avant la date à laquelle le condamné peut prétendre à la libération conditionnelle, il peut être placé dans le cadre d’un placement sous surveillance électronique ou d’une semi-liberté. Il s’agit là d’une mesure probatoire, intégrée à la libération conditionnelle. En fait, le juge de l’application des peines qui est amené à statuer va définir les modalités du placement sous surveillance électronique et de la semi-liberté, la date à partir de laquelle le condamné sera placé en libération conditionnelle, et les modalités de celles-ci.
En l’espèce, on a déterminé que la libération conditionnelle était accessible, à ce jour, à compter du 14 juillet 2015. Par conséquent, avec une mesure probatoire de placement sous surveillance électronique ou de semi-liberté, l’aménagement de la peine serait accessible dès le 14 juillet 2014.
Il faut, là encore, observer que, comme pour une décision de libération conditionnelle, la situation pénitentiaire du condamné est figée aussitôt le jugement rendu : il n’y aura plus de réductions de peine, ni ajoutées ni retirées. C’est la différence avec le fait d’avoir d’abord demandé le placement sous surveillance électronique ou la semi-liberté, et au cours de ces mesures de demander la libération conditionnelle : dans cette hypothèse, on aura continué à bénéficier des réductions de peine (mais aussi risqué d’être sanctionné !).
Par ailleurs, le terme de la libération conditionnelle peut, là encore, être prolongé d’un an par rapport à la fin de peine.
Enfin, si la mesure n’est pas respectée pendant la période probatoire, le condamné est simplement réincarcéré et poursuit sa peine, qui n’a pas été interrompue (puisque placement sous surveillance électronique et semi-liberté s’exécutent sous le régime de l’emprisonnement). Si les incidents ont lieu pendant la libération conditionnelle proprement dite, la peine n’ayant été suspendue qu’après la période probatoire, la réincarcération peut être prononcée pour la peine restant à courir à cette date.
VI- L’opportunité de l’aménagement de peine
Incarcéré aujourd’hui, Jérôme Kerviel pourrait donc, en l’état, prétendre :
à compter du 14 juillet 2014 à la libération conditionnelle avec placement sous surveillance électronique ou semi-liberté probatoire,
à compter du 08 septembre 2014 au placement sous surveillance électronique ou à la semi-liberté,
à compter du 14 juillet 2015, à la libération conditionnelle.
Cependant, ces aménagements de peine ne sont pas automatiques ! Le juge de l’application des peines est garant du sens des décisions de justice qui sont prononcées, et en particulier des peines. Il doit donc apprécier la situation du condamné, son projet, et les efforts qui ont pu déjà être fournis au cours de la peine.
Ainsi, pour bénéficier du placement sous surveillance électronique ou de la semi-liberté, il faut justifier d’un projet professionnel, de la nécessité d’un traitement médical, d’une participation essentielle à la vie familiale, ou d’un projet de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive.
S’agissant de la libération conditionnelle, il faudra en outre qu’au cours de sa peine, le condamné ait fait la preuve d’ “efforts sérieux de réadaptation sociale”.
Les projets sont préparés et contrôlés, la plupart du temps, par les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Les requêtes déposées par les condamnés sont audiencées, dans un délai de quatre mois. A l’occasion d’un débat contradictoire, le condamné (et son avocat s’il en a un), expose son projet. Le procureur de la République donnera son avis. L’ensemble de ces critères sera ensuite apprécié par le juge de l’application des peines qui rendra sa décision, en prenant en compte les délais, le projet, mais aussi la gravité des faits et l’avis de la victime.
Les dates à laquelle les aménagements de peine sont possibles peuvent être proches, mais parfois la route est longue jusqu’à la décision.
Bonsoir,
Votre article est très intéressant et éclairant. Il a le mérite de mettre à mal tous les fantasmes.
Je cherche et recherche le fondement juridique disposant que les personnes admises au bénéfice d’une mesure probatoire à une LC ne peuvent bénéficier de RPS. Pourriez vous m’éclairer sur ce point ?
Merci d’avance.
Exactement ce que je cherchai. Merci, les infos vont me servir pour mon exposé
Acceptez-vous de faire une interview dans le courant du mois ? Merci beaucoup ;)
Même fondement légal que la libération conditionnelle, puisque le jugement qui prévoit la mesure probatoire est déjà le jugement de libération conditionnelle...