Réflexions/Débats

Petites explications sur la décision du CSM

LE CSM, COMMENT CA MARCHE ?

Quelle responsabilité pour les magistrats ? Une distinction est opérée dans le système judiciaire français entre la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux de la justice et la responsabilité personnelle des magistrats pour faute.

La discipline des magistrats relève du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) qui n’a pas l’initiative des poursuites disciplinaires. Il rend un jugement motivé ayant autorité de chose jugée dans sa formation du siège et un avis dans sa formation du parquet sur les affaires qui lui sont soumises.

Sanctionnant le non respect par le magistrat de ses obligations statutaires et notamment de son serment, l’action disciplinaire réprime les manquements caractérisés aux devoirs de son état., à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité.

Quelles exceptions à leur responsabilité ? L’acte juridictionnel et la vie privée demeurent en principe hors du champ disciplinaire.

Les actes juridictionnels relèvent de la seule conscience du magistrat et de son pouvoir de juger. Ils ne peuvent être attaqués que par l’exercice des voies de recours prévues par la loi. Il existe une exception : l’hypothèse de l’abus ou du détournement de pouvoir « lorsqu’il résulte de l’autorité même de la chose définitivement jugée qu’un juge a de façon grossière et systématique outre-passé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine, de sorte qu’il n’a accompli, malgré les apparences, qu’un acte étranger à toute activité juridictionnelle » (décision du 8 février 1981 et décision du 1er mars 2007 rappelée par le CSM dans sa décision condamnant M. BURGAUD).

Quant au principe du respect de la vie privée il résulte de l’article 12-2 du statut sauf si le comportement privé du magistrat donne lieu à des débordements pouvant avoir un retentissement sur l’exercice professionnel ou risquant de dégrader l’image de sa fonction.

Qui juge les juges ? Depuis la loi du 25 juin 2001 l’audience devant le CSM est publique. Si aux termes de l’article 57 du statut cette décision n’est susceptible d’aucun recours, le conseil d’Etat s’est auto-déclaré « juge de cassation » des sanctions disciplinaires prononcées par le CSM (CE, 12 juillet 1969), considérant le CSM comme une instance administrative. Il s’estime même juge des faits et de leur qualification.

Comment le CSM est-il composé ? L’article 65 de la Constitution précise que la formation compétente à l’égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline à leur égard étant alors présidée par le Premier Président de la Cour de Cassation.

La formation compétente à l’égard des magistrats du Parquet siégeant comme Conseil de discipline donne son avis au garde des sceaux sur les sanctions disciplinaires qu’elle estime ou non devoir être prononcées. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de Cassation. Si le garde des sceaux entend prononcer à l’égard d’un magistrat du parquet une sanction plus grave que celle proposée par la formation compétente il doit la saisir à nouveau ; un nouvel avis est émis après l’audition du magistrat poursuivi (art.66).

Quelles sanctions peut-il prononcer ? Les formations disciplinaires peuvent prononcer ou proposer l’une des huit sanctions prévues à l’article 45 du statut :
- la réprimande avec inscription au dossier,
- le déplacement d’office,
- le retrait de certaines sanctions,
- l’abaissement de l’échelon,
- l’exclusion temporaire des fonctions pour une durée maximale d’une année avec privation totale ou partielle du traitement (loi du 25 juin 2001),
- la rétrogradation,
- la mise à la retraite d’office ou admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n’a pas droit à une pension de retraite,
- la révocation avec ou sans suspension des droits à pension,

Le retrait à l’honorariat peut être prononcé à l’encontre d’un magistrat retraité.

Comment est-il saisi ? Depuis la réforme statutaire intervenue en 2001, les chef de cour, présidents et procureurs des tribunaux supérieurs d’appel (art50-2 et 63 al.2) peuvent saisir le CSM d’une poursuite disciplinaire, concurremment avec le garde des sceaux qui est destinataire d’une copie de la saisine initiale et peut se joindre à cette procédure.

ET POUR M. BURGAUD, CA S’EST PASSE COMMENT ?

Comment le CSM a-t-il été saisi ? En ce qui concerne M. BURGAUD c’est le GDS Pascal Clément qui a décidé de le poursuivre malgré un rapport de l’inspection générale des services judiciaires qui concluait à l’absence de faute disciplinaire imputable à M. BURGAUD.

Quelle était la position du gouvernement ? Mme LOTTIN Directrice des services judiciaires a sollicité le prononcé à l’encontre de M. BURGAUD de la sanction d’exclusion temporaire maximale d’une durée d’un an. L’acte de saisine du CSM précise que chacune des insuffisances professionnelles relevées ne saurait en soi constituer une faute disciplinaire mais que leur accumulation tout au long de la procédure peut néanmoins être considérée comme traduisant une conscience insuffisante de ses obligations par le magistrat pouvant difficilement s’expliquer par la seule inexpérience professionnelle. Le garde des sceaux relève dans la note du 20 janvier 2009 « â€¦ce ne sont pas tant des insuffisances professionnelles qui sont reprochées à M. Fabrice BURGAUD qu’une accumulation de manquements dont la répétition tout au long de la procédure démontre le caractère systématique voire volontaire ».

Quelle a été l’argumentation du CSM ? Le CSM expose sa méthode tout au long de sa décision. Il a procédé à une étude très approfondie du fond du dossier d’instruction dans la mesure où il se réfère dans sa motivation précisément à certaines auditions ou encore aux questions posées par le juge d’instruction

Le CSM s’est employé à examiner chacun des griefs reprochés à Monsieur BURGAUD. La plupart des griefs ont été rejetés. Il convient de les exposer puis d’énoncer les griefs retenus.

Les griefs rejetés
- Les conditions dans lesquelles l’audition des mineurs a eu lieu sur commission rogatoire en date du 6 mars 2001 (notamment insuffisance de formation des enquêteurs qui ont procédé aux auditions, problème d’enregistrement de ces auditions faute de matériel, contenu des auditions brèves et peu circonstanciées) En substance, Le CSM relève qu’il ne peut être reproché à M. BURGAUD les conditions d’audition des mineurs sur CR, qu’il avait pris la précaution de requérir deux médecins pour examiner les mineurs et de les faire accompagner d’un personnel social spécialisé (respect des dispositions de l’art.706-53 du cpp).
- Le délai dans lequel l’audition des mineurs par le juge est intervenue (10 mois après l’ouverture de l’information),
- Refus de confronter les mis en examen à leurs accusateurs (acte juridictionnel) il s’agit d’un grief abandonné par le garde des sceaux dans la note du 20 janvier 2009,
- L’absence de synthèse dans les procès verbaux de confrontation, Le CSM précise qu’il n’appartient pas au conseil de discipline de définir de façon théorique les méthodes du juge d’instruction dans son activité juridictionnelle mais d’examiner les investigations conduites au regard de la finalité essentielle de la fonction d’instruction qu’est la recherche de la manifestation de la vérité.
- L’absence de prise en compte d’éléments à décharge et de l’existence de questions du juge induisant les réponses ainsi que les pratiques partielles et attentatoires aux droits de la défense. L’accusation retient le caractère délibéré du comportement du magistrat. Le CSM estime que ces griefs reprennent des éléments relatifs aux maladresses et négligences et défaut de maîtrise du juge d’instruction dans son activité non juridictionnelle. Il fait valoir qu’il n’est pas démontré que M. BURGAUD ait failli à ses devoirs d’impartialité et de respect des droits de la défense ou qu’il ait mis en Å“uvre des pratiques délibérément favorables à l’accusation des personnes mises en examen
- Le retard dans le versement du dossier de pièces susceptibles de constituer un élément à décharge
- Les méthodes de confrontations collectives (le fait que les MEE soient confrontés en même temps à plusieurs accusateurs). Ces pratiques ont fait l’objet de décisions juridictionnelles validées par la chambre de ‘instruction, de plus le GDS a abandonné ce grief.
- Le nombre insuffisant d’interrogatoires (prise en compte de la charge du cabinet et participation au service général, du nombre d’actes conséquents dans un dossier d’une particulière lourdeur)
- Les difficultés relatives à l’assistance d’un MEE par un avocat lors d’un interrogatoire (un avocat était présent et abandon de ce grief par le GDS)
- Le délai de notification des expertises Il est relevé l’absence de personnel et l’insuffisance des moyens du greffe ont été dénoncés par le juge d’instruction dès 2001 auprès du prsdt du TGI , du Premier Président de la Cour d’Appel, du Président de la Chambre de l’Instruction.
- l’utilisation d’une procédure portant sur des faits étrangers à l’information Le juge d’instruction peut exploiter tout élément versé à son dossier dans le respect des règles du cpp.

Les griefs retenus
- Le caractère peu critique des auditions et de ce que M. BURGAUD n’aurait pas interrogé les mineurs sur les circonstances précises des agressions dénoncées
- le manque de méthode du magistrat constaté tant dans le traitement de nombreuses dénonciations que dans la conduite des investigations, interrogatoires et confrontation dont le caractère insuffisant des vérifications effectuées à la suite des déclarations recueillies : +absence de méthode pour analyser les dénonciations : le CSM relève que le manque de rigueur dans l’interrogatoire des adultes mis en examen ou d’auditions des mineurs et le défaut d’approfondissement de leurs déclarations apparaissent de manière répétée au sujet des faits et dénonciations particulièrement graves. Le CSM donne un certain nombre d’exemples précis reprochant en substance à M. BUGAUD de s’être contenté s’enregistrer des déclarations sans mettre en relief les contradictions dans les déclarations successives des mis en examen, entre les mis en examen et dans les déclarations successives des victimes ou entre les victimes ; ainsi que le fait que certains propos ne soient pas corroborés par des éléments objectifs comme les constatations médicales. +Les vérifications omises abandonnées ou tardivement engagées notamment certaines pistes non exploitées, la demande d’une partie acceptée mais non suivi d’effet, aucune conséquence tirée de la vérification d’un alibi d’un mis en examen le mettant hors de cause pour certains faits pourtant dénoncés par une victime. Le CSM relève que « ces constations font apparaître des négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans la conduite des auditions et interrogatoires et actes non juridictionnels relevant des attributions habituelles du juge d’instruction » +Le fait que les interrogatoires et confrontations étaient insuffisamment exploitables et l’absence de réaction du juge d’instruction en cas de revirement. +La présentation de certains faits comme acquis alors qu’ils ne résultent que de déclarations de victimes ou de mis en cause. Le CSM fait une analyse des questions posées par le juge d’instruction et reproche à M. BURGAUD la formulation de certaines questions soient trop imprécises. Par exemple il énonce que 4 enfants ont fait des déclarations similaires à l’égard d’un MEE alors qu’il n’y en a que 3 ou que certaines questions donnent l’impression de tenir pour acquises la culpabilité de certaines personnes, ou de présenter des déclaration comme précises et convergentes alors qu’elle ne le sont pas ce qui constitue pour le CSM une maladresse et un défaut de maîtrise dans la manière de conduire les interrogatoire.
- les modalités de notification des expertises : il a notifié en fin d’information 9 expertises quelques semaines avant de rendre un avis de fin d’information et 3 expertises le jour de l’avis. Cette pratique n’est pas analysée d’atteinte aux droits de la défense mais constitue une maladresse du juge d’instruction dans sa pratique de notification à une période décisive de l’avancement de son dossier.
- l’avis de fin d’information est délivré prématurément car il n’avait pas encore répondu à deux demandes d’actes.

Et finalement, quelle sanction ? Le CSM a prononcé le 24 avril 2009 Ã  l’encontre de M. BURGAUD une réprimande avec inscription au dossier qui est la sanction disciplinaire la plus faible.

Comment expliquer cette sanction ? Il convient de préciser que le CSM a appliqué la loi d’amnistie du 6 août 2002 : sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires à l’exception des faits constituant des manquements à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mÅ“urs ce qui n’est pas le cas concernant les griefs retenus à l’encontre de M. BURGAUD. Le CSM retient des négligences, des maladresses ou des défauts de maîtrise. Ainsi peu d’actes sont concernés par la décision puisque seulement 3 mois d’instruction sont concernés sur 20 mois.(avis de fin d’information le 7 août 2002). Le CSM rappelé dans le chapitre concernant la sanction que M. BURGAUD n’a pas pris les décisions relatives au placement en détention des MEE. Par ailleurs il précise que les insuffisances retenues dans ce dossier n’ont pas été relevées dans les autres procédures dont M. BURGAUD avait la charge. De plus il rappelle que son travail n’a pas suscité d’observations de la part de magistrats très expérimentés du siège comme du parquet appelés à contrôler et suivre l’information et qu’aucune demande d’annulation de la procédure n’a été présentée par la défense devant la Chambre de l’instruction. Il estime que ce dossier était d’une difficulté exceptionnelle (nombre de MEee, âge des victimes). Il ne remet pas en question l’investissement professionnel de M. BURGAUD qui ne disposait pas de moyens humains et matériels lui permettant de traiter ce dossier dans les meilleures conditions.

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