Je pensais initialement faire un billet pédagogique sur les écoutes téléphoniques mais finalement tout a été dit depuis plusieurs jours sur ce point : leur cadre légal, leur durée, les cas dans lesquels un avocat peut être placé sous interception téléphoniques…
Alors je préfère vous parler du juge d’instruction, cet être dont on dit aujourd’hui qu’il commet des « abus de pouvoirs », lui conférant ainsi une toute puissance qu’il n’a pas. On peut d’autant plus le dire que jamais un juge d’instruction n’ordonne lui-même la détention. Il ne s’exprimera pas non plus sur un dossier dont il a la charge ni sur les attaques dont il est directement la cible. Il n’a de toute façon pas le choix s’il veut garder sa position d’impartialité car en s’exprimant de quelque façon que ce soit, il ne pourrait plus instruire le dossier qui lui a été confié.
Le juge d’instruction n’est ni un surhomme, ni un chevalier blanc et encore moins un justicier vengeur. Lorsqu’un dossier sensible se profile, chaque décision est pesée, réfléchie, car il sait qu’il s’exposera et que la seule chose que tout cela pourra lui attirer, ce sont des ennuis. Un juge d’instruction travaille dans un bureau souvent trop petit, rempli de dossiers, de papiers, quémande des stylos, des post-it, une greffière à temps plein. Il n’est pas celui qui ordonne, commande sans cesse et à qui l’on obéit sans discuter. Il ne recherche aucune clientèle, ni aucun salaire supplémentaire selon les dossiers qu’il instruit, mais seulement la satisfaction d’honorer le serment qu’il a prêté au début de sa carrière. Le juge d’instruction n’est pas cet être machiavélique qui complote dans le secret de son cabinet contre les grands de ce monde.
Instruire un dossier peut n’être qu’une simple mise en l’état des différents éléments, mais cela peut également être très stratégique, le tout non pas pour « faire tomber quelqu’un » mais pour s’approcher au plus près de la vérité. Lorsque le juge d’instruction ordonne des écoutes téléphoniques, il sait que cela va coûter de l’argent et des moyens humains. Contrairement aux idées reçues, les enquêteurs ne sont pas ravis de passer des heures assis sur une chaise, le casque à l’oreille pour écouter des heures de conversations dont un infime pourcentage concernera l’enquête en cours. Il faut aussi parfois faire des choix de lignes à placer sur écoutes, lorsque l’enquête commanderait de réaliser vingt interceptions mais que matériellement les enquêteurs ne peuvent pas en faire plus de cinq en même temps. La presse s’est faite l’écho de chiffres farfelus quant au nombre de policiers dédiés à une enquête : 50, 60, 100... Je n’ai jamais vu et ne verrai jamais hélas 50 enquêteurs dédiés à long terme exclusivement à une seule enquête. Si le juge d’instruction arrive à avoir trois enquêteurs qui ne travaillent que sur son dossier, il a déjà de la chance.
Alors il faut bien que quelqu’un prenne la défense du juge d’instruction puisque de toute évidence il n’y a pas ou peu d’avocats pour le faire actuellement. Au-delà , le plus désespérant est peut être cette impression distillée que magistrats et avocats sont en guerre permanente. Lorsque les mots « combats » sont employés dans la presse, lorsque des mots très durs sont prononcés à l’encontre des juges d’instruction... Il y a des avocats avec lesquels cela se passe toujours mal, dans le conflit, l’agressivité ; et il y a la majorité des avocats avec lesquels on peut discuter, échanger des points de vue, chacun jouant son rôle dans le respect de l’autre.
Dans ce court exposé, j’ai parlé du juge d’instruction au masculin et pourtant beaucoup de femmes sont juge d’instruction. J’en fait partie et j’en suis fière.
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